JO 2020 : Interview de Baptiste Carême

Publiée par Thibault Breton le jeudi 1 juillet 2021 à 12:00
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Crédit photo : Badmania / FFBaD

A trois semaines des Jeux Olympiques de Tokyo 2020, Baptiste Carême s'apprête à découvrir cette compétition en tant que coach. Dans cet entretien, il explique la fulgurante progression de Thom et Delphine, livre les détails de leur préparation et revient sur son approche de l'entraînement.

"J'individualise au maximum l'entraînement"


Bonjour Baptiste, peux-tu te présenter ainsi que ton parcours dans le monde du badminton ?

J'ai arrêté ma carrière de sportif de haut niveau en 2016, j'ai dans le même temps obtenu mon professorat de sport, c'est à ce titre là que j'ai intégré la FFBaD. Depuis trois ans je suis entraîneur national à l'INSEP et responsable des doubles.

Ton passé de badiste de haut niveau t'aide t-il dans ton rôle d'entraîneur ? Si oui, en quoi ?

Oui il m'aide pour plusieurs choses. D'abord pour ressentir ce qu'il se passe sur le terrain, notamment dans l'aspect tactique, l'adaptation au jeu de l'adversaire. Cela m'aide également à appréhender les gros tournois, de l'organisation à la préparation des matchs. Pour ces points, avoir un vécu de joueur de haut niveau est selon moi un vrai bonus. Durant ma carrière j'ai eu plusieurs entraîneurs avec différentes méthodes d'entraînement. L'idée pour moi est de faire un mix de tout ce que j'ai connu, de retenir les choses qui me paraissent les plus pertinentes tout en ajoutant ma "patte" pour répondre aux objectifs de développement des joueurs dont j'ai la charge.

Comment définirais-tu ton approche de l'entraînement, que veux-tu transmettre aux joueurs ?

J'individualise au maximum l'entraînement, chaque joueur est différent, que ce soit techniquement ou dans la communication. J'essaye de faire prendre conscience aux joueurs que leur projet de haut niveau leur appartient, le but est de les responsabiliser, d'avoir un échange entre joueur et entraîneur, ils doivent être capables de déterminer leur vision du badminton, leur style de jeu, proposer des éléments à mettre en place pour leur progression.

Je qualifierais mon rôle comme étant celui d'un accompagnateur vers la haute performance, j'ai une approche plutôt souple de l'entraînement qui demande beaucoup d'investissement et d'échanges avec les joueurs. La carrière d'un sportif de haut niveau est courte, je veux que les joueurs puissent s'adapter sans perte de temps en cas de changement d'entraîneur. Selon moi le meilleur moyen de développer un joueur est de l'intégrer à son projet, qu'il prenne les choses en main afin qu'il n'ait aucun regret après sa carrière.

Tu es responsable des doubles à l'INSEP depuis 2018, a-t-il fallu un temps d'adaptation aux joueurs pour tourner la page de l'ère Gade ?

Lors de ma fin de carrière de joueur je me suis entraîné un an sous leurs ordres, l'approche rigide de leur entraînement ne me correspondait pas. Je ne comprenais pas certaines des méthodes utilisées, à 30 ans je faisais les mêmes entraînements que des jeunes de 18 ans. Ils avaient leurs objectifs, qui selon moi n'étaient pas adaptés à chacun. En revanche ils ont apporté une vraie professionnalisation. Mon objectif en arrivant à l'INSEP était aussi de mettre à profit les compétences de nos entraîneurs français, j'ai énormément appris auprès de Maxime Michel et Thibault Pillet, on a tous quelque chose à apporter aux athlètes et c'est dans ce sens-là qu'on doit aller.

Pour certains joueurs, la transition entre la méthode danoise et la mienne a été difficile, pour d'autres pas du tout. Ils sont passés d'un modèle très strict avec des entraîneurs qui contrôlent tout à un modèle demandant plus d'autonomie. Je ne dis pas que je ne veux pas tout savoir, au contraire, c'est essentiel d'avoir un maximum d'informations et de retours pour optimiser les entraînements mais je ne suis pas constamment sur le dos des joueurs, ce n'est pas de cette manière qu'ils vont se développer selon moi. Je pense que les joueurs ont apprécié de pouvoir être plus acteur de leur entraînement.


"Thom et Delphine ne se fixent pas de limite"


A l'approche de Tokyo 2020, comment se passe la préparation de Thom et Delphine ? Quels sont les axes de travail ?

Dans un premier temps on a appris l'annulation des tournois en Asie ce qui signifiait la fin de la qualification Olympique. C'est plutôt bien tombé, ils ont accumulé pas mal de fatigue en deux ans de qualification. Pour digérer tout ça ils ont pris deux semaines de vacances nécessaires pour pouvoir entamer la grosse préparation des Jeux.

Elle a été programmée sur sept semaines et demie. D'abord trois semaines d'entraînement dont deux aux Pays-Bas très intenses axées sur une grosse préparation physique que ce soit en musculation ou en foncier. La quatrième semaine est plus légère, déchargée en préparation physique dans le but d'absorber toute la charge de travail des trois semaines précédentes. Pour finir, les trois semaines et demie restantes sont orientées vers une préparation plus spécifique badminton avec de plus en plus de matchs et de situations de jeu.

La progression de Thom et Delphine est fulgurante depuis 2019, comment l'expliques-tu ?

Thom et Delphine sont deux athlètes qui ne se fixent pas de limite, ils sont ambitieux et investis à 100% dans leur projet. Ils sont habités par le badminton et le sport en général, ils font tous les sacrifices pour se donner les moyens d'y arriver. Ils sont également très lucides, conscients de leurs points forts et de leurs axes de progression, ils s'adaptent très vite aux situations à l'entraînement comme sur le terrain, que ce soit dans l'appropriation de coups ou dans l'adaptation au jeu des adversaires. C'est leur capacité d'investissement, d'apprentissage et d'adaptation qui les amènent à progresser et c'est selon moi leur principal point fort.

Sur le terrain, c'est une paire très complémentaire. Tous les deux lisent très bien le jeu, jouent de manière instinctive. Plus on va leur imposer un cadre de jeu serré moins ils vont être à l'aise. Sans avoir eu leur carrière, j'avais aussi un jeu instinctif, c'est un atout pour nous, ça facilite notre communication puisque je peux comprendre ce qu'ils ressentent. Enfin, il faut saluer l'énorme travail fait en collaboration avec le préparateur physique Joran Love qui a transformé Thom et Delphine les rendant encore plus performant.


A l'approche des Jeux, dans quel état d'esprit es-tu ?

Je suis très impatient, c'est pour moi aussi mes premiers JO, ça va être génial de découvrir cette compétition. Je ne ressens pas de pression particulière, Thom et Delphine n'ont pas le statut de favoris même s'ils ont montrés par le passé qu'ils étaient capables de battre les meilleures paires mondiales. Le statut d'outsider leur convient bien, on va se servir de ça pour montrer leur progression. Je suis totalement confiant par rapport au niveau de jeu, nous croyons sincèrement à l'exploit.


Quels sont tes projets post Tokyo 2021 ?

Le métier d'entraîneur demande beaucoup de sacrifices, ça ne se fait pas à moitié. Quand je me suis engagé en 2018 je me suis dit que je le ferais à fond, que je donnerais tout ce que je peux pour les badistes français parce que je crois en notre capacité d'atteindre le plus haut niveau. C'est un poste que j'ai accepté parce que je n'avais pas encore de vie de famille, je pouvais me permettre de multiplier les voyages pour aller en tournoi et d'être très souvent hors de chez moi. Actuellement je suis très heureux de ma situation, je n'ai pas pu finir ma carrière de joueur comme j'aurais voulu, ce poste d'entraîneur est une manière de redonner aux joueurs ce que le badminton m'a apporté.

Paris 2024 n'est que dans trois ans, c'est motivant, dès lors que je ne serais plus motivé j'arrêterais ce métier, ça ne profitera ni aux athlètes ni à moi. Après Paris, je ferai un bilan pour savoir si je continue ou non, j'aimerais construire une vie personnelle ce qui est pour l'instant compliqué.

Merci Baptiste pour ta disponibilité, bon courage pour les Jeux Olympiques et à bientôt.



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