IFB 2017 : Peter Gade, le bilan à mi-mandat

Publiée par Marius Dirand le dimanche 22 octobre 2017 à 12:00
Peter Gade
Crédit photo : Badmania.fr

"Faire du badminton un sport majeur en France, et de la France une nation majeure du badminton international". L'objectif annoncé par l'ancien président de la Fédération, Richard Remaud, était assez clair. Ce 25 avril 2015, l'ancien patron du badminton français officialisait alors l'arrivée de Peter Gade, légende vivante du badminton, au poste de directeur de la performance du badminton tricolore. Depuis, 2 ans et demi ont passé, et le décor a déjà considérablement évolué, entre succès et péripéties. Tour d'horizon du badminton tricolore version Peter Gade, à mi-parcours du contrat liant l'ancienne gloire danoise à la FFBaD.

Des résultats immédiats malgré un contexte initial difficile

Depuis la prise de fonctions de Peter Gade, les motifs de satisfaction ne manquent pas côté sportif.

Février 2016. Les bleus conquièrent une médaille d'argent historique lors des Championnats d'Europe par équipes. À Kazan, à peine un an après son arrivée à l'INSEP, Gade n'a peut-être pas joué un rôle prépondérant dans le style de jeu, mais il a sans doute apporté un état d'esprit différent. Une culture de la gagne que l'on savait chevillée au corps de l'ancien numéro 1 mondial, et qu'il a su transmettre à ses nouveaux protégés.

Un an plus tard, le duo Labar/Fontaine est allé s'offrir du bronze lors des derniers Championnats d'Europe. Un petit exploit cette fois aussi imputable travail technique, illustration de caps significatifs franchis par le badminton français.

Des résultats longtemps envisagés mais jamais atteints, qui apportent du crédit à la stature de Peter Gade l'entraîneur. Car tout grand champion qu'il est, le Danois n'est pas arrivé en terrain conquis en Avril 2015. La cause ? Le conflit qui a empoisonné l'INSEP lors des premiers mois de 2015.

Mécontents que leurs dirigeants les fassent participer aux Jeux Européens de Bakou en pleine course olympique, les cadres de l’équipe de France avaient fait éclater au grand jour un désaccord qui deviendra rapidement polémique, en plein championnats d'Europe par équipes mixtes. Résultat : exit les entraîneurs nationaux Stevoslav Stoyanov et Bertrand Gallet, et installation de tensions durables entre les joueurs, Brice Leverdez en tête, et la direction technique nationale.

Une situation délicate que n'ignorait pas Peter Gade, signalant dès son arrivée la nécessité que "tout le monde travaille dans la même direction", en espérant être l’élément clé d'une grande réconciliation. Apporter sa connaissance de l'excellence du haut niveau et se poser en diplomate, le défi apparaissait double pour le Danois. Une situation qui allait lui imposer une acclimatation express, dans le rôle si particulier de meneur d'Hommes.

Peter Gade
Crédit photo : Badmania.fr

Gade, exigeant ... et intransigeant ?

Ces performances majeures côté français, ponctuant des coups d'éclat épars de ses ouailles auront sans nul plaidé en faveur de la cause du nouveau grand manitou de l'INSEP. Pas suffisant toutefois pour être dithyrambique : si la relation globale avec les joueurs est bonne, et la qualité de travail appréciée, les joueurs reprochent parfois une uniformité trop systématique dans la majorité des plans d'entraînement, et des qualités individuelles pas suffisamment prises en compte dans le développement de chaque talent.

Tout sauf une façon de se simplifier la vie côté Gade. Car en dehors des courts, le technicien est un travailleur acharné, sans cesse à la recherche d'améliorations et d'évolutions pour l'entraînement des bleus. Au point d'avoir parfois surpris son équipe technique à une heure avancée de la nuit pour discuter d'une nouvelle approche ! Le Danois ne se ménage pas. Les joueurs français non plus. De l’exigence, encore et toujours, et une charge physique conséquente font partie du quotidien des tricolores.

Reste à gagner, encore, en constance et en résultats d'abord, en visibilité ensuite. Car si l'on interrogeait la planète badminton sur les récentes performances tricolores sur la scène internationale, le nom de Brice Leverdez reviendrait sans nul doute systématiquement. Parfois héroïque depuis deux ans, le numéro un français, actuel 24ème joueur mondial, n'est pas loin de son meilleur classement en carrière (22ème en novembre 2014).

Une satisfaction pour les supporters tricolores ... et aussi une épine dans le pied de Peter Gade, qui n'aura pas su conserver la locomotive du simple hommes dans ses rangs.

Brice L.
Crédit photo : Eurosport Player

Leverdez et le simple dames, points d'ombre du bilan

Car les résultats de Leverdez sont acquis loin de la structure fédérale. Fidèle à son coach historique Bertrand Gallet, le numéro 1 tricolore a trouvé son équilibre depuis son départ de l'INSEP en Juillet 2015, avec les résultats les plus significatifs au plus haut niveau pour le badminton tricolore. Dans son sillage ? Aucun des trois mousquetaires de l'INSEP - Claerbout, Rouxel, Corvée - n'a réussi à se stabiliser dans le top 50 mondial. Seules leurs victoires aux championnats de France face à un Leverdez repus de couronnes nationales camouflent ce difficile constat.

Le rejet de la structure mise en place par Gade par le numéro un français, qui a plusieurs fois signalé dans la presse son incompatibilité d'humeur totale avec la légende scandinave, pourrait créer un dangereux précédent pour la filière fédérale. Chez les jeunes, les très prometteurs Arnaud Merkle, Toma et Christo Popov, pourraient par exemple opter pour d'autres horizons que celui de l'INSEP. L'Alsacien envisage de rester dans sa structure club à Mulhouse, les deux frères provençaux privilégient la piste des académies asiatiques.

Des difficultés en simples encore plus prégnantes chez les dames. Là, en revanche, Peter Gade n'y peut pas grand-chose, héritant d'une situation déjà plus que délicate. Dans le sillage d'une Delphine Lansac, 62ème joueuse mondiale et trop souvent blessée pour exploiter pleinement son talent ? Personne, ou presque. Pi Hongyan, souvent accusée d'avoir découragé les jeunes joueuses, est pourtant sortie des projecteurs il y a maintenant cinq ans ... Alors que tous se réjouissaient de sa naturalisation si difficilement obtenue, Sashina Vignes peine elle à revenir après une grave blessure au genou.

Symbole de ce creux générationnel, il faut remonter à la 146ème place, détenue par Manon Krieger, pour trouver autre trace d'une joueuse tricolore. Les jeunes Yaelle Hoyaux (155ème) et Katia Normand (169ème) peinent à confirmer les espoirs placés en elle, quand Marie Batomène (171ème) n'a pas non plus percé et que Lole Courtois a mis son projet sportif entre parenthèses.

Un problème sans réelles solutions à l'heure actuelle, dont Peter Gade doit assumer parfois injustement les critiques, faute d'une chose essentielle non accessible à court terme : des individualités prêtes à éclore.

Jesper Hovgaard
Crédit photo : Badmania.fr

Hovgaard, la bonne pioche

Chez les doubles en revanche, l'ambiance est au beau fixe, ou peu s'en faut. Emmené avec lui dans ses bagages à son arrivée à Paris, le bras droit de Peter Gade, Jesper Hovgaard y est pour beaucoup tant il fait l'unanimité chez les joueurs, ou plutôt chez les paires. Un nom moins clinquant, certes, sans pour autant être un anonyme, et un contre-pouvoir très judicieux ramené de Scandinavie par Gade.

Joueur international de second rang, Hovgaard s'est distingué par des victoires à l'Italian International dans les années 2000, ou encore par un doublé au Cyprus International 2005. Loin des spotlights des Super Series, mais tout de même une expérience de joueur bénéfique à un niveau de compétition européen, où la plupart des paires tricolores doivent encore prendre du galon.

Passé ensuite, comme entraîneur cette fois, par le Stenhus Badminton College, une école de développement d'élite qui collabore avec Badminton Denmark, ou encore par le club de Hvidovre, Hovgaard y a connu ses premières expériences d'entraîneur au pays.

Comme Peter Gade, Hovgaard est exigeant, mais à l'inverse de son compatriote souvent inflexible, il sait aussi lâcher la bride et afficher une réelle proximité avec les joueurs. Comme Thibaut Pillet, il partage aussi davantage de déplacements en compétition de ses joueurs, renforçant ses liens avec l'effectif. Comme Gade, aussi, le Danois a dû faire face au choc des cultures. Un intermédiaire de choix entre la direction sportive et le terrain, qui participe grandement à la bonne cohésion des individualités.

Peter Gade
Crédit photo : Badmania.fr

Restructurer et s'adapter pour un avenir doré

Après la moitié de son contrat de cinq ans passée (2015-2020), Peter Gade a pu prendre le temps de s'acclimater à de nouveaux us et coutumes sportifs. Lui qui multiplie les aller-retour entre la France et le Danemark, où vit sa famille, a d'abord dû observer et comprendre les rouages du badminton français. Et s'en étonner, parfois. Comme lorsque le Scandinave apprend que beaucoup de joueurs sont contraints de poursuivre leurs études ou de travailler en parallèle de leur parcours professionnel. Une situation qui choque le directeur de la performance tricolore, et que le Danois a mis beaucoup de temps à concevoir.

Changer le statut de la discipline dans l'hexagone est un autre défi auquel est confronté Gade, tributaire des résultats sportifs. Mais celui-ci demandera du temps pour être évalué. Un projet de restructuration du badminton français sur le long terme est en marche. Et sa présence accrue sur le terrain, notamment aux Championnats de France jeunes ou lors de séminaires d'entraînement, montre cette implication de fond attendue de la part de l'entraîneur Gade. Un aspect du job bien cerné par Gade dès son intronisation, qui avait eu à coeur de se rapprocher de la base pour instiller son message.

Une montée en compétence qui permettrait notamment, dans les années à venir, de disposer de joueurs davantage prêts pour le plus haut niveau, et enclin à entamer un travail plus approfondi, les bases du jeu étant d'ores et déjà acquises grâce à la formation. Et ne plus devoir déconstruire certains parties du jeu d'un espoir durant une ou deux saisons pour le rebâtir, avec le retard induit dans le développement. Mais si Peter Gade veut récolter les graines qu'il a semé, il devra prouver, encore, que l'INSEP est un passage obligé vers le haut niveau.

Peter Gade
Crédit photo : Yonex international

Entre défis et projets, Gade sous le poids des attentes

Peter Gade est donc monopolisé sur tous les fronts. Les défis sont au moins aussi nombreux qu'à son arrivée. Avec déjà des succès sportifs et structurels, mais aussi des impasses qui, à court terme, ne semblent pas pouvoir trouver d'issue pérenne. Si le Danois veut poursuivre la transfiguration souhaitée pour le badminton français, et en faire une nation référence de la discipline, ces points d'ombre devront être levés, débloqués durablement. Malheureusement, il faudra plusieurs saisons pour juger des actions menées par l'actuelle direction technique du badminton français en ce sens.

Le joueur était une icône. Un statut qui comporte des avantages, mais aussi son lot d'inconvénients. Accueilli à bras ouverts, le Danois a aussi été considéré - à tort - comme un messie qui pourrait tout changer d'un coup de baguette magique. Mais même lorsque l'on a fait partie des tous meilleurs joueurs de l'histoire, révolutionner le badminton dans un pays étranger au sien prend du temps.

Malgré le calibre du champion, le badminton français doit donc attendre son heure, parfois dans l'ombre de ses voisins européens. Mais de plus en plus souvent dans la lumière de coups d'éclat, permis par l'optimisation des potentiels déjà en place à l'INSEP.

Comme dans tout bilan, tout n'est pas noir ou blanc. Mais à défaut d'avoir tout réussi, Gade a au minimum prouvé sa crédibilité dans un rôle d'incubateur du badminton français. Le temps rendra son verdict pour la suite. À condition que l'ancien chouchou numéro 1 de Coubertin, probablement très scruté encore sur sa chaise de coach dès ce mardi 24 Octobre, tienne bon en route face à l'étendue du chemin à parcourir ...

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  • FransV
    Le 24/10/2017 à 1h42 (0)
    On en revient au même point, il faut des centres sport/étude axées badminton en France.
    Avec 6h de bad/jour, comme dans bon nombre de pays d'Asie.

    Il est dit que l'on ne fait pas des top joueurs en quelques années (imaginons moins de 5?) et on lui tresse les lauriers pour Baku !
    N'oublions pas qu'il manquait un nombre important de joueur de calibre dans les autres nations, aussi.

    Si l'on vise la performance international, c'est en superseries, CDM, JO, Thomas et Uber cup qu'elle est visible.
    A ce niveau, hormis quelques coups d'éclats de temps à autres (surtout de BL, aie!!), il n'y a pas une progression très visible par rapport à l'ère post Gade.

    Mais effectivement, je pense que vu l’ampleur de la tache, il faudra attendre les JO de 2024 pour voir quelque chose de bien concret à l'image de l'Angleterre (post JO).

    Pour les gamins qui imagine partir en Chine (ou ailleurs) parfaire leur formation, ils ne doivent pas oublier que la fenêtre de tir est extrêmement restreinte pour gagner correctement sa vie dans le badminton mondial.
    Car là, le danger est qu'ils abandonnent leurs études, qui actuellement offrent plus de certitude professionnelle que le badminton !!

    Si non, Christo Popov oui, il y a gros potentiel !
    Il a fait un CDM Jr énorme, il est de 2002 et perd contre le finaliste malaisien Leong (1999) en 1/4.
    Sur la génération 2001/2003, c'est probablement le meilleur européen et un des 5 au monde.
    Maintenant, il faut encore beaucoup de boulot pour le niveau sénior.