INTERNATIONAL : L'Indonésie, pour l'amour du jeu

Publiée par Pierre Nassivera le dimanche 28 août 2016 à 10:54
AhmadNatsir
Crédit photo : Badmania.fr

"Nous, le peuple de l’Indonésie, déclarons par la présente l'Indonésie indépendante". C’est par le biais de cette sobre phrase qu’est proclamée, un matin d’août 1945 – le 17 précisément – la naissance de la nouvelle République indonésienne. 71 ans plus tard, le 17 août 2016, deux joueurs de double mixte célèbrent, avec bien moins de retenue, leur victoire sur la paire malaisienne Chan/Goh.

"Cette victoire est notre cadeau à l’Indonésie en ce Jour de l’Indépendance". Ils s’appellent Liliyana Natsir et Tontowi Ahmad, ont respectivement 30 et 29 ans, et chantent fièrement l’hymne national, l’Indonesia Raya – en français Grande Indonésie.

Une bouffée d’oxygène bienvenue

Quoi de plus exaltant que d’offrir au badminton indonésien sa première médaille d’or olympique en double mixte, le jour de la fête de l’indépendance de son pays ? Après avoir connu le goût du pouvoir dans les années 1990 – avant l’émergence de la Chine - ce retour du plus beau métal au tableau de chasse du badminton national sonne comme une revanche sur le passé.

Mais lorsque l’on admire la tradition du beau jeu prôné par les "Brésiliens" du badminton, on ne peut que se réjouir de ce résultat positif. C’est bien cela le style indonésien : une multitude de styles propres à chaque joueur, et la culture du jeu avant la culture de la gagne – toutefois bien souvent au détriment des résultats au cours de cette dernière décennie.

Illustrons cette irrégularité dans la performance par quelques exemples récents : avant de décrocher l’or à Rio, Natsir et Ahmad ont échoué en finale des Jeux d’Asie, puis ont été éliminés au deuxième tour de l’Indonésia Open et au premier tour de l’Australian Open. Mohammad Ashan et Hendra Setiawan, champions du monde en titre en double hommes, traversent la saison 2016 tels des fantômes, tandis que le n°1 indonésien en simple hommes Tommy Sugiarto, actuel n°9 mondial, n’a pas gagné de titre sur le circuit SuperSeries depuis son unique succès au Singapore Open en 2013. Enfin, en simple dames, la première joueuse indonésienne, Maria Febe Kusumastuti, ne pointe qu’au 25ème rang.

Tommy S.
Crédit photo : Badmania.fr

Un équilibre encore fragile

Des difficultés autant liées à l’aspect sportif qu’aux atermoiements au coeur même de la PBSI1. À la fin des années 2000, Kido, Setiawan (alors champions olympiques en titre) et plusieurs autres membres de l’équipe nationale avaient quitté leur fédération, protestant contre l’interdiction des sponsorings individuels. Après 3 ans de conflit, la situation s’est tassée, Hendra Setiawan réintégrant notamment l’équipe nationale avec la fin heureuse que l’on connaît (champion du monde 2013, 2015, vainqueur des Jeux d’Asie 2014 avec Muhammad Ahsan). Mais la boîte de Pandore ouverte alors peine à retrouver son herméticité. Dernier exemple récent en date : le choix de Tommy Sugiarto de quitter le groupe national en Janvier 2015, 5 ans après avoir fait partie des "frondeurs" de 2010.

Si le diagnostic peut paraître sévère, il n’en reste pas moins que l’Indonésie accueille à bras ouverts cette médaille d’or. Un or guérisseur pour oublier les nombreuses frustrations de ce tournoi : l’élimination dès les huitièmes de finale de Tommy Sugiarto face à Rajiv Ouseph, celle de la paire de double dames Maheswari/Polii en quart de finale, la dernière place dans la poule J de la joueuse Lindaweni Fanetri, mais surtout l’élimination précoce d’Ashan et Setiawan, après une unique victoire en poule face aux modestes Indiens Attri et Reddy (actuelle 21ème paire mondiale).

LeeMustof
Crédit photo : Yonex International

Un avenir radieux ?

Au sein de l’Asie du badminton, l’Indonésie propose une approche unique dans la formation des joueurs. A l’inverse des pratiques de la Chine ou du Japon – pour ne citer que ces deux pays dotés d’un système efficace de détection permettant de dénicher les futures pépites dès leur plus jeune âge – les jeunes joueurs indonésiens acquièrent les bases du badminton à ciel ouvert, souvent dans leur quartier d’origine. Cette "formation buissonnière" leur confère une patte géniale et les dote d’une créativité sans égale. Si le double se prête bien à l’étalage des qualités techniques et au grain de folie des joueurs indonésiens, le revers de la médaille reste un manque de rigueur qui fait très souvent la différence au plus haut niveau, notamment en simple.

Néanmoins, le badminton indonésien s’active pour combler son retard dans cette discipline : modernisation des centres d’entraînement, importation de la rigueur sino-japonaise dans leurs méthodes d’entrainement, suivi approfondi des jeunes athlètes, etc. Une nouvelle génération de solistes, fruit des efforts de la PBSI, commence ainsi à émerger.

Chez les hommes, trois jeunes joueurs, parmi lesquels se cache peut-être le futur Taufik Hidayat, aiguisent leurs armes depuis l’année dernière sur le circuit Senior.

Rapide revue d’effectif : Anthony Sinisuka Ginting, 20 ans, 30ème au classement BWF, et déjà deux demi-finales sur le circuit SuperSeries (à l’Open de Hong Kong en 2015 et à l’Australian Open le 11 juin dernier, en épinglant Chen Long en deux sets en quart de finale) ; Ihsan Maulana Mustofa, 20 ans également, demi-finaliste du dernier Indonesia Open et actuel 17ème joueur mondial ; enfin, le plus jeune des trois et sans doute le plus talentueux, Jonatan Christie, 18 ans, déjà à la 22ème place mondiale, et remarqué récemment suite à sa demi-finale au pays du roi Chong Wei lors du Malaysia Open.

Rendez-vous en 2020 ?

Chez leurs homologues féminins, si les jeunes joueuses sont encore très discrètes, trois noms sont à surveiller. Toutes trois de moins de vingt ans, elles viennent de rejoindre l’équipe nationale, aux côtés de joueuses indonésiennes déjà rompues aux joutes internationales, comme Kusumastuti et Fanetri. La plus précoce d’entre elles, Fitriani, née en 1998, est déjà 53ème joueuse mondiale. Suivent Gregoria Mariska Tunjung, 17 ans, et Ruselli Hartawan, 18 ans, respectivement 85 et 86èmes joueuses mondiales.

A l’aube d’une nouvelle ère post-olympique pour le badminton mondial, l’Indonésie peut se prévaloir de nombreux atouts. Outre des certitudes dans les disciplines de double, l’on est sur le point d’assister à l’éclosion d’une jeunesse talentueuse, programmée pour briller en simple. Suite au renouvellement générationnel attendu, et notamment aux retraites de Lee Chong Wei et de Lin Dan, l’Indonésie dispose de quatre ans pour façonner ses diamants bruts et les préparer pour la prochaine olympiade de Tokyo en 2020. Retrouver un rôle protagoniste en simple hommes ne serait pas pour déplaire à l’Indonésie…

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  • Pompidum
    Le 28/08/2016 à 16h48 (0)
    A quand un joueur avec autant de grâce technique que Taufik Hidayat ?
  • FransV
    Le 28/08/2016 à 17h32 (0)
    Bel article Ivan.
    Effectivement, Ginting et Christie ont un gros potentiel !
    Sur la génération équivalente (+/- 4ans), il y a des Axelsen et Momota et le vivier potentiel Chinois.

    De ce que je me souviens, c'est des joueurs très explosifs.
    La carrière de ce type de joueur est généralement plus courte à moins d'un changement de jeu, comme LCW.
    Mais avoirs des espoirs à ce niveau là et cet age là, seul la Chine les as (Shi Yuqi et Lin Guipu) et ceux pas encore dans le bain internationla (Voir la CBSL et compétitions juniors).

    Et tout a fait d'accord, pour moi Christie a le potentiel pour être "le" futur craque du badminton.

    Chez les filles, c'est encore le néant ...et je n'imagine pas l'Indonésie avoir une place sous le soleil de Tokyo dans le SD.
    CM est encore jeune et vu la démonstration aux JO, les jeunes pépites japonnais et toujours les Chinoises

    Pour info et sans les pépites Indo.
    http://bwf.tournamentsoftware.com/sport/matches.aspx?id=E4D1278D-F017-4315-BEC8-5D0DD78EA32B&d=20150705

    http://bwf.tournamentsoftware.com/sport/matches.aspx?id=42E35895-C3EC-41AA-82F8-9ABC98E4C8A5&d=20151115

    8 sur 10 pour la Chine.
  • Ivan Cappelli
    Le 29/08/2016 à 7h57 (0)
    Pompidum : autre époque, autre style :( le style d'Hidayat était unique, et je doute qu'on puisse vraiment le revoir un jour.

    FransV : merci, mais ce papier est de l'un de nos nouveaux rédacteurs Pierre ;)
  • Terence Mahé
    Le 29/08/2016 à 12h41 (0)
    Vraiment top cet article, très intéressant et riche en informations :)
  • ATH-YF
    Le 03/09/2016 à 21h56 (0)
    A la lecture de l'article je pense que s'il doit y avoir un successeur au style de Taufik c'est bien depuis l'Indonésie qu'on pourra le voir débarquer.