MONDIAUX 2015 : Lee Chong Wei, destination finale

Publiée par Ivan Cappelli le lundi 3 août 2015 à 11:52

Chong Wei

Génie parmi les surdoués, géant parmi les grands : non, Lee Chong Wei n'est pas fini. Le désormais ex-éternel n.1 mondial disputera, à 32 ans, ses neuvièmes et derniers Championnats du monde du 10 au 16 août 2015 à Jakarta, Indonésie. Une nouvelle campagne mondiale abordée d'une bien étrange manière : suspension pour dopage, chute au classement BWF et sacrifice d'un camarade d'entrainement. Soutien de son nouveau DTN Morten Frost et naissance d'un deuxième enfant de l'autre. Et si dans l'équation de la victoire, le Malaisien exploitait ces paramètres pour enfin se vêtir de la toison dorée qu'il mérite depuis près d'une décennie ?

Lee Chong Wei et les Championnats du monde, débuts d'une malédiction

Huit participations aux Championnats du monde, zéro médaille d'or. À cela s'ajoutent trois participations aux Jeux Olympiques (Athènes, Pékin et Londres), considérés dans de nombreux sports comme de super Championnats du monde, poussant la notion d'excellence et de prestige à l'extrême. Peu importe, le dramatique constat est le même : jamais Lee Chong Wei n'a réussi à monter sur la plus haute marche du podium dans ces onze tournois majeurs malgré un statut de tête de série n°1 dans huit d'entre eux et de multiples Grand Prix, GP Gold, Open et Super Series à son tableau de chasse.

Tout commence pourtant bien en 2005 lorsque, du haut de ses 21 ans, son talent le hisse déjà sur la troisième marche du podium. Pour sa première apparition aux Mondes. Ce n'est pas encore l'heure du crack de la province de Penang, mais le rêve est déjà - permis. En 2006 et 2007, ses statuts de tête de série 1 et 2 ne l'empêchent pas de perdre respectivement en quarts de finale et au troisième tour face à des joueurs largement à sa portée. Déjà alors, le Malaisien est parfois tancé dans son pays pour ses difficultés à assurer lors des grands tournois. C'est à cette époque qu'encadrants comme amateurs comprennent que le surdoué de la BAM est loin d'avoir course gagnée pour un trophée suprême.

Chong Wei

Un favori si proche du titre, et pourtant si loin

Lee Chong Wei atteint pourtant la finale des JO de Pékin l'année suivante, mais les sévices que lui fait subir Lin Dan vont le marquer. Écrasé par le héros chinois, (21-12, 21-9), le complexe face à dernier s'installe durablement. Résultat : il ne dépasse pas le stade des quarts de finale lors des éditions 2009 (Hyderabad) et 2010 (Paris). Pire encore, malgré un statut de grand favori, un parcours exemplaire et un niveau de jeu exceptionnel lors du cru 2011 et les JO de Londres de 2012, son éternelle bête noire et ami remue le couteau dans la plaie en le privant finale sur finale de la médaille aux reflets d'or. Seule évolution : c'est aux confins de matchs en 3 sets épiques que le Malaisien s'incline désormais.

2013, c'est l'heure. Lee Chong Wei règne incontestablement sur la planète badminton depuis le concours olympique 2012, date à laquelle le principal artisan de ses échecs a pris une année sabbatique. Rien ne semble pouvoir briser le rêve doré du natif de Penang. Un songe qu'une Wild Card de la BWF au bénéfice de Super Dan va transformer en mirage. Pour la énième fois, les deux meilleurs ennemis se baladent pour offrir une finale de rêve au public de Guangzhou. Mais coup de théâtre: tout simplement trop fort, le Chinois crucifie le Malaisien dans des circonstances tragiques. Sorti sur civière, Lee Chong Wei se contente pour la quatrième fois de la breloque argentée.

2014, dernier étage. Pas de Lin Dan à l'horizon. Le prodige malaisien veut saisir sa chance en écrasant chaque adversaire osant se dresser sur son chemin. Mais un Chinois d'exception peut en cacher un autre. Et les craintes nourries par le duel avec Chen Long vont rapidement s'avérer fondées. En seulement deux sets ultra-serrés cette fois (21-19, 21-19), Le Malaisien voit à nouveau les portes du paradis se fermer devant lui. Sur le podium, Lee Chong Wei semble résigné, un regard vide sur son visage qui en dit long.

Chong Wei

Le tremblement de terre Dexaméthasone

Deux mois après les derniers Championnats du monde, l'annonce d'un grand nom malaisien contrôlé positif à une substance dopante fait l'effet d'une bombe. La presse malaisienne et les réseaux sociaux s'emballent à juste titre : il s'agit bien de la légende Lee Chong Wei, qui aurait pris de la dexaméthasone, glucorticoïde de synthèse améliorant la récupération. Ce dernier se défendant de toute tentative de tricherie, enquête est faite pour faire toute la lumière sur l'affaire de dopage la plus choquante de l'histoire du badminton.

Fin avril 2015, le verdict tombe: l'icône asiatique n'a pas ingéré cette drogue dans l'intention de tricher, mais est condamné à 8 mois de suspension rétroactive pour négligence. Fait peu relayé par les médias, la BWF décide d'annuler sa médaille d'argent aux derniers Championnats du monde et tous les points qui en découlent au classement international. La star malaisienne peut tout de même souffler : elle vient d'échapper à une mise à la retraite prématurée, inévitable en cas de suspension de 2 ans comme annoncée initialement.

Nul doute que cette péripétie ajoute encore un peu plus de frissons à l'intensité dramatique de l'odyssée du Datuk. Mais quels effets sur le joueur, et avant tout, l'homme? D'abord, 8 mois psychologiquement éprouvants, où le héros déchu a du prendre du recul vis-à-vis des médias pour ne pas se laisser blesser par les critiques et batailler avec les instances sportives adaptées pour prouver son innocence.

Chong Wei

Le poids des responsabilités ensuite

Même remonté au 46ème rang mondial en quelques semaines, et avec une demande de Wild Card rejetée par la BWF pour des raisons éthiques évidentes, Lee Chong Wei ne peut théoriquement pas participer aux Championnats du monde de Jakarta. Qu'importe, la Badminton Association of Malaysia (BAM) tranche et décide logiquement d'évincer Chong Wei Feng contre sa volonté au profit de son glorieux aîné. Dommage collatéral, malheureux concours de circonstances, appelez cela comme vous voulez : le trop tendre sparring-partner portera injustement le fardeau du meilleur badiste malaisien de tous les temps.

Ce parti-pris fratricide n'est peut-être pas sans effets sur l'équilibre psychologique de Lee Chong Wei, puisqu'il peut soit le transcender, soit le culpabiliser, et lui infliger donc une mauvaise pression. Car si celui-ci porte déjà habituellement l'espoir de tout un pays sur ses épaules, il aura cette fois à c½ur de décrocher l'or pour honorer le sacrifice de son partenaire d'entraînement. Supplément de motivation ou facteur d'autodestruction ?

Chong Wei

Lee Chong Wei 2.0, le badiste ultime ?

Avantage indirect de sa longue pause, ce repos forcé semble avoir permis au Malaisien de se ressourcer. Exit les straps et autres bandages : Lee Chong Wei a pleinement récupéré et peut mettre tout son potentiel athlétique au service de son badminton. L'évolution du datuk ne semble donc pas avoir de limites, même à 32 ans. Mais s'il était déjà connu pour être l'un des joueurs les plus complets du circuit, son passage à une stratégie plus offensive (qui n'est pas sans rappeler l'évolution de Roger Federer au Tennis) constitue un nouveau défi. Deux objectifs motivent cela : éviter les échanges marathons à répétition, base de son jeu par le passé mais trop exigeants pour le trentenaire en fin de carrière. Et faire sauter la défense blindée du bunker Chen Long, seul obstacle semblant aujourd'hui capable d'enrayer la mécanique malaisienne.

Fixation en fond de court et au filet aiguisée, amortis destructeurs, smashs assassins dans des angles et positions improbables, contre-amortis croisés chirurgicaux, petites feintes meurtrières, changements de rythme brutaux... Lee Chong Wei a fait ses devoirs et ne manque plus d'arguments pour mettre n'importe quel adversaire dans le retard. Un régal pour les yeux tant chaque coup est exécuté avec élégance, chaque volant caressé avec sérénité. À croire que sa suspension était presque nécessaire pour qu'il se réinvente !

Néanmoins, la stratégie miracle n'existe pas. Ses fulgurances abrègent certes les rallies mais puisent en contre partie rapidement dans ses ressources d'énergie. Un niveau de jeu très difficile à maintenir pendant 3 sets, et donc un pari à double tranchant contre des coureurs de fond tels que Chen Long et Lin Dan. Surtout lorsque l'on connaît la friabilité psychologique du souffre-douleur malaisien face à ses deux bourreaux formés par l'Empire du Milieu. Autre faille de l'ex n°1 mondial, une difficulté incorrigible à gérer les moments chauds en fin de set, lorsque la pression parvient à son apogée. Des erreurs coûteuses contre la constance et la discipline des surhommes issus de l'école chinoise, maîtres dans la gestion de leurs émotions.

Signe du destin ou simple coïncidence, le renouveau de Lee Chong Wei est tendrement incarné par la naissance de son deuxième petit garçon, Terrance, quasiment 1 mois jour pour jour avant les Championnats du monde 2015. Mais une autre réalité se cache derrière la résurrection sportive du messie malaisien, et cette réalité n'est autre que le travail du récent Directeur Technique National (DTN) de la BAM, Morten Frost.

Chong Wei

Une renaissance signée Morten Frost

Mais qui est ce grand occidental venant prodiguer ses conseils au Datuk à chaque pause ? Sur les tapis verts, Morten Frost Hansen dénote. Si vous ne le connaissez pas : méfiez-vous, il pourrait bien être le sauveur de la fin de carrière du roi Lee.

Morten Frost est avant tout un joueur de badminton danois d'exception sans égal à la fin du XXème siècle. Multiple champion d'Europe, il remporte le Championnat du Danemark à 9 reprises entre 1978 et 1991. Sur la scène internationale, le Nordique fait honneur à ses ancêtres Vikings : il envahit les podiums en pillant l'or dans quasiment tous les tournois d'élite auxquels il participe, dont 4 fois chez ses voisins anglais lors du prestigieux All England. Même en double homme et double mixte, le Danois assouvit sa réputée soif de victoires dans quelques tournois européens.

Sa carrière de joueur finie, c'est en coulisses que Morten Frost va mouiller le maillot. Dans les années 90, le fin stratège fait ses premiers pas en tant que coach au service du Danemark. Son projet, porté par son leadership, est une réussite. En témoigne la récolte d'une vingtaine de titres internationaux dont des médailles de toutes les couleurs gagnées aux Championnats du monde, All England et surtout aux Jeux Olympiques avec notamment Poul-Erik Hoyer.

En 2014, le tacticien accepte un nouveau challenge en tant que DTN de la BAM. Objectif : permetre à la Malaisie de redevenir l'une des trois meilleures nations du badminton au monde d'ici 2020. Déjà membre du staff de la BAM pendant 3 ans à la fin des années 90, il sait à quel point la mission sera périlleuse tant la Fédération malaisienne est en ruines : manque de stratégie globale et d'infrastructures, poison bureaucratique et politique, départ des emblématiques coachs Rashid Sidek et Rosman Razak... Un environnement peu propice à l'équilibre psychologique nécessaire au désormais n°3 malaisien ... ainsi qu'à sa succession.

Chong Wei

Lee Chong Wei et Morten Frost, des carrières intimement liées

Le projet à court-terme du géant Danois ? Chanter l'hymne malaisien aux Championnats du monde de Jakarta et aux Jeux Olympiques de Rio à travers le retour tonitruant de Lee Chong Wei, joueur avec lequel il partage plusieurs faits d'armes parfois troublants. D'abord, le génie suffisant pour avoir modernisé et fait évoluer leur sport en tant que joueur professionnel. Véritables pionniers dans leur discipline, ils seront entrés au Panthéon du badminton par leur panache et leur capacité à tutoyer la perfection.

Leur style de jeu ensuite, où les deux joueurs misent sur une mobilité déconcertante par le biais d'un jeu de jambes unique. Mieux encore, on retrouve dans le Lee Chong Wei nouvelle version la patte de Morten Frost au travers de ce mélange létal du simple traditionnel, consistant en de nombreux lobs-amortis-smashs gagnants en cas de retour un peu court, et du simple moderne, plus offensif grâce à des smashs visant à créer des ouvertures béantes pendant l'échange. Combinaison magique que le Malaisien met en pratique à merveille au regard de ses derniers duels.

Le palmarès enfin, où tous deux auront dominé le classement mondial pendant des années en raflant tous les titres possibles si ce n'est... les Championnats du monde. Aussi déroutant que l'analogie puisse paraître, Morten Frost aura lui aussi échoué à deux reprises en finale des Mondiaux contre des joueurs chinois. À travers le visage de son nouveau poulain, remporter les Championnats du monde de Jakarta permettrait au Danois de réaliser son rêve inachevé 30 ans plus tard, et viendrait parachever sa légende.

L'arrivée de la légende danoise sonne donc comme un vent de fraîcheur sur une institution vieillissante, en mal de stabilité mais aussi et surtout pour Lee Chong Wei comme une pièce maîtresse dans sa quête du Graal mondial, tant psychologiquement que techniquement. Morten Frost sera-t-il le serrurier offrant au Malaisien la clé du bonheur ?

Chong Wei

À joueur et carrière exceptionnels, lieu et date exceptionnels

Symbole fort de son engagement singulier pour son sport, Lee Chong Wei jouera son dernier espoir de couronne mondiale en Indonésie, berceau adoptif du badminton qui, comme lui, n'a jamais cessé d'aimer et ½uvrer pour le sport de raquettes le plus rapide au monde. Très apprécié par les aficionados indonésiens, il ne fait aucun doute que son nom raisonnera dans l'enceinte volcanique de l'Istora Stadium de Jakarta. Des encouragements salutaires lorsqu'il foulera les tapis face aux gros calibres.

Lee Chong Wei fêtera par ailleurs un anniversaire lourd de sens pour son ultime essai : 10 ans de chasse au trésor depuis sa première apparition aux Championnats du monde d'Anaheim (USA) en 2005, où il aura fallu se satisfaire des colliers d'argent sans jamais toucher à l'or. Une triste célébration que la légende malaisienne tentera de mettre à profit pour ne pas rester dans les esprits comme l'éternel second du panthéon international.

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  • sbouaita
    Le 03/08/2015 à 12h25 (0)
    super article!!!
  • Luciole
    Le 03/08/2015 à 12h47 (0)
    Ces Championnats promettent beaucoup pour le simple homme avec pas mal d'enjeux intéressants :D par contre pour le grand succès tant attendu de LCW j'y crois moyen, je ne le vois pas enchainer Lin Dan ou Jorgenssen puis Chen Long. Chen Long qui a mon sens va se balader jusqu'en final, je ne le vois pas se faire piéger par Axelsen ou Momota...

    Après perso j'aimerai bien voir une renaissance de Tommy Sugiarto :D avec une demi revanche contre Chen Long, ce serait cool :D
  • Naxos
    Le 03/08/2015 à 13h06 (0)
    Très bon article en effet ! Bravo !

    J'aimerais mais ne vois pas LCW le faire... ce sera le soporifique Chen Long encore :D
  • Ivan Cappelli
    Le 03/08/2015 à 13h47 (0)
    Merci pour vos encouragements qui iront droit au coeur de Fabien :)

    j'espère sincèrement comme vous que Lee Chong Wei y parvienne enfin. Parce qu'il le mérite, mais aussi parce que cela relancera considérablement le suspense en vu de Rio 2016 !
  • Luciole
    Le 03/08/2015 à 13h49 (0)
    Perso je pense que le suspense pour Rio 2016 est déjà pas mal si on mise sur une progression des d'jeunz :)
  • nmourlan
    Le 03/08/2015 à 14h16 (0)
    Bravo pour cette article. Un concentré de la carrière de LCW et de ses défis actuels !
  • anthony61
    Le 03/08/2015 à 17h40 (0)
    un bel article qui lui fait quand même honneur.

    Il est capable de tous les battre mais je vois mal passer Chen Long enfin qui sait ?
    Finallement heureusement qu'il a pas eut l'or l'an denier ça aurait été un comble.
    Je rajouterais que de toute manière qu'importe le résultat il n'a pas encore eut l'or mais il a gagné sont public et dans le principe c'est peut être bien le plus important.
  • badman999
    Le 03/08/2015 à 20h12 (0)
    Superbe article, bravo. Je ne suis pas un fan de LCW.Mais je serai heureux pour lui et pour les malaisiens. Autrement je suis pour CL et Momota
  • tom3472
    Le 03/08/2015 à 22h13 (0)
    ça existe des supporters de Chen Long :lol:

    Sinon bel article. LCW ça serait top ! ou alors un outsider : Axelsen pour ma part !

  • ernestabboud
    Le 04/08/2015 à 2h19 (0)
    Bel article ca ma fait couler une larme�😢😢#snif# 😢😢
  • FransV
    Le 05/08/2015 à 1h56 (0)
    Superbe article, bravo !
    Finale Chen Long - Lin Dan

    LCW, tableau trop difficile !!
    Il faudrait battre,
    ...Leverdez (R3), Srikanth (1/4), Lin Dan (1/2) ...Chen Long en finale !!

    Brice est chaud de chaud, je l'ai entendu sur RMC aujourd’hui (enfin hier), + nouveau départ !
    Va y avoir du spectacle coté bleu ....ou pas !