Parmi tous les athlètes ayant jamais foulé les courts du Stade Pierre de Coubertin, il est très certainement celui qui trépigne le plus d'impatience d'y revenir. Un an après sa stupéfiante performance lors de l'édition 2014, Chou Tien-Chen est de retour aux Internationaux de France de badminton, pour le plus grand bonheur de l'arène parisienne. Dernier membre pour le moins atypique de la liste des chouchous de la porte de Saint-Cloud, le Taïwanais débarque avec la pancarte du tenant du titre. Et surtout avec un nouveau statut qui ne fait plus rire personne.
Une sortie brutale de l'anonymat
Dimanche 26 octobre 2014. Pour la troisième fois en 3 jours, un jeune taïwanais de 24 ans fait rugir Coubertin en renversant complètement son match face à un Top 10 mondial. Wang Zhengming était pourtant prévenu : Viktor Axelsen et Tommy Sugiarto avaient subi avant lui la même inversion des pôles au terme d'un match marathon. Mais pouvait-il en être autrement ? C'était écrit : Chou Tien-Chen remportait son tout premier titre Super Series à Paris (10-21, 25-23, 21-19).
Dire que cette prestigieuse couronne acquise venait de nulle part serait exagéré. Affirmer qu'elle était tout sauf prévisible serait en revanche approprié.
Car qui était Chou Tien-Chen avant cet automne tonitruant ? Pour les fans de badminton français, il s'agissait ironiquement de l'une des victimes favorites de Brice Leverdez, invaincu face à lui (avec 2 victoires en 2014). Pour les Danois, il incarnait le souvenir aigre-doux des mondiaux 2014 à Copenhague. La tristesse de l'abandon sur blessure et à domicile de Jorgensen en huitièmes de finale, puis la fierté d'une première médaille mondiale pour son prodige Axelsen, toutes deux issues d'un match face au Taïwanais.
Pour les Allemands enfin, il constituait le double vainqueur du Bitburger Open GP Gold (ses seuls titres majeurs), avec à chaque fois une victoire face au héros national Marc Zwiebler à Sarrebruck. Mais pour le reste du monde, Chou Tien-Chen était avant tout un outsider parmi d'autres sur le circuit BWF, un de ces talents asiatiques parmi tant d'autres toujours placé, mais jamais au rendez-vous des grandes manoeuvres sur les événements majeurs.
Alors comment ce jeune taïwanais, privé de ses coaches en finale car ils avaient déjà réservé leurs billets d'avion pour le retour, a-t-il pu créer une telle sensation devant un public désormais acquis à sa cause ?
Paris, l'acte fondateur
Pour tenter d'expliquer la performance de Chou Tien-Chen, plusieurs arguments cohabitent. Son grand match de la semaine précédant les IFB 2014, où il avait failli éliminer Lin Dan au 1er tour du Denmark Open. Son été fructueux en Amérique du nord, avec notamment une finale à l'US Open. Son quart de finale aux Mondiaux 2014, suivi d'une médaille de bronze aux Jeux asiatiques par équipes, avec sa première victoire de la saison face à un Top 10 mondial, Tommy Sugiarto.
Mais aucun ne suffit à légitimer 4 victoires face à des membres du top 10 mondial, qui l'ont conduit à se révéler au monde à Paris.
Le show Chou débute mercredi 22 octobre à Coubertin. Au coeur du marathon de la journée des 1/16èmes de finale, le Taïwanais évince le tenant du titre Jan O Jorgensen, insuffisamment remis de sa blessure genou contractée - déjà - face à son adversaire du jour. Tombeur d'un des favoris du public parisien, puis vainqueur dans un quasi-anonymat de Ng Ka Long le lendemain - son seul succès en deux manches du tournoi -, Chou n'endosse pas immédiatement le costume du chouchou.
Est-ce en terrassant les héros que l'on en devient un soi-même ? C'est en tout cas ce que semble indiquer le changement de statut de Chou Tien-Chen, qui commence à acquérir les faveurs de Coubertin en sortant Viktor Axelsen en quarts de finale (12-21, 21-18, 21-15). Le lendemain, la tendance est déjà là : avec la faveur des travées franciliennes, Chou Tien-Chen renverse pour la seconde fois en deux mois Tommy Sugiarto (14-21, 21-18, 21-19) et devient le premier taïwanais à atteindre la finale d'un simple hommes.
Un phénomène est né
Un nom original faisant écho au classique "chouchou de Coubertin", un charisme étonnant, là où la plupart des joueurs asiatiques sont plutôt réservés, et un parcours incroyable : la machine est en marche. Lorsque Chou Tien-Chen pénètre le dimanche après-midi dans l'enceinte parisienne pour défier Wang Zhengming, Coubertin n'a d'yeux que pour lui. Et la magie opéra à nouveau : épuisé et hors du coup au 1er set (il aura passé en moyenne une heure par match sur le court), Chou sauve 2 volants de match dans une arène en fusion. Le reste appartient à l'histoire.
Fischer/Pedersen, Adcock/Adcock, Gade, Jorgensen, Axelsen, Hidayat : tous ces monuments de Coubertin ont été battus ce jour-là à l'applaudimètre par le 29ème mondial du simple hommes. En zone presse, les regards médusés des quelques non-habitués de Coubertin en disent long sur l'intensité du moment. Ovationné un long moment alors qu'il s'effondre au sol victorieux, Chou Tien-Chen poursuit la communion jusqu'à un podium qu'il aura tant de mal à quitter.
Ce 26 octobre, sans que personne au monde ne l'ai anticipé, la carrière de Chou Tien Chen vient de basculer.
Gérer l'après IFB
La légende veut que, du coeur du salon VIP réservé à Yonex à Coubertin, un haut responsable du célèbre équipementier se soit offusqué que le petit phénomène taïwnais ne soit pas ambassadeur de sa marque. Bonne pioche : 2 mois plus tard, en parallèle du retour de Lin Dan au sein de la mythique écurie nippone, Yonex annonce la signature du nouveau héros de Coubertin.
Surfant sur la confiance de ce titre inattendu le consacrant comme nouveau héros dans son petit pays, Chou Tien-Chen enchaîne. La semaine suivante, et malgré la fatigue accumulée à Paris, il triple la mise à Sarrebruck en conservant sa couronne du Bitburger GP Gold. Il triomphe notamment en route de Tian Houwei. Son invincibilité prend fin en demi-finale du China Open en novembre, avec une première défaite en quinze matchs face à rien moins que Lin Dan.
En deux petits mois, Chou Tien-Chen a changé de dimension. De la 29ème place mondiale, le Taïwanais célèbre son 25ème anniversaire début janvier 2015 à un inédit 7ème rang mondial. Trop rapide et difficile à digérer ? Il faudra en tout cas quelques mois à Chou Tien Chen en 2015 pour retrouver son mojo.
La résurrection à la maison, puis le crash à Jakarta
Certes quart-de-finaliste du All England 2015, il ne retrouve pas le niveau de performance qui lui a permis de s'envoler les sommets. Mais Chou Tien-Chen est un showman, et en homme de spectacle réclame un public. C'est donc à domicile, pour le Taïwan GP Gold en juillet, que celui qui avait tant fait vibrer Paris répète son grand numéro. Comme si il réservait ses forces pour les arènes où le public serait à même de le porter.
Son parcours débute par trois victoires sereines qui le mènent aux quarts de finale. Fini les débauches d'énergie inutiles : Chou ne laisse pas de forces en route avant ses retrouvailles avec Jan O Jorgensen. Comme un clin d'oeil à l'histoire, Chou lâche à nouveau le premier set avant d'infliger une 3ème défaite en un an au Danois (20-22, 21-14, 21-16). Sa plus belle victoire de la saison, qui le mène à un autre temps fort : le défi Lin Dan.
Proche de battre le monument chinois en 2014, Chou joue alors une partition d'un tout autre niveau face au double champion olympique. Dominé en première manche, il fait l'effort sur quelques points d'anthologie pour basculer avec une manche d'avance, et empêcher le vieillissant champion chinois de souffler en seconde manche. Lin Dan travaille pour prendre le second set ... et explose en troisième manche, laissant un avantage vertigineux au local de l'étape. Chou écrit un nouveau chapitre de sa légende (21-19, 18-21, 21-16). Mais l'endurance de Chen Long éteint les espoirs de titre du Taïwanais à domicile, malgré un énorme premier set (15-21, 21-9, 21-6).
Tête de série 6, quart de finaliste en 2014, homme en forme : les atouts ne manquent pas pour un postulat de Chou Tien-Chen à une médaille mondiale à Jakarta. Tous les observateurs annoncent un match pour la médaille entre lui et Momota en quarts de finale. Mais sans raison apparente, Chou Tien-Chen explose complètement au 1er tour face à l'ancien champion du monde juniors Zulfadlli Zulkiffli (21-5, 22-20). Après le match, le Taïwanais expliquait difficilement cet échec : "Je n'étais pas complètement prêt au combat, et j'ai complètement perdu mes moyens au 1er set. Au deuxième, j'étais sous pression car le score était serré, et j'ai fini par perdre en deux manches".
Quel Chou Tien-Chen à la défense de son titre ?
L'échec des mondiaux 2015 aurait pu mettre à mal la fin de saison du Taïwanais. Mais l'appel de Rio et des JO 2016. Aura été plus fort : Chou Tien-Chen rebondit dès septembre 2015 avec une double demi-finale aux Japan et Korea Open Super Series. Seul le manque de victoire de référence sur ces deux compétitions - avec notamment une défaite surprise face au revenant indien Ajay Jayaram - jette une petite ombre sur un tableau tout de même rassurant.
Alors, quel Chou Tien Chen pour cette tournée d'octobre qui l'avait consacré en 2014 ? De retour sur les terres de ses exploits, le chouchou de Coubertin a paradoxalement beaucoup à perdre à revenir en Europe. Dans trois semaines, son extraordinaire manne de points acquise en 2014 disparaîtra de son classement mondial. En cas de grosse contre-performance à Paris, il pourrait rapidement chuter au classement mondial ... et rencontrer plus rapidement ces cadors qu'il a temps de mal à battre en Super Series.
À Coubertin, Chou Tien Chen débutera son parcours face à un opposant piégeux, l'Indonésien Rumbaka. Au Japon, le Taïwanais l'avait emporté difficilement. Relâchement interdit pour celui qui devrait être très soutenu par le public pour son entrée en lice ! Avec une entame à sa portée, le regard du Taïwanais se portera surtout sur les quarts de finale, avec un duel prometteur en perspective face à Lin Dan. Parmi tous les grands joueurs ayant remporté les IFB, aucun n'est parvenu à conserver son titre deux années de suite. Chou Tien Chen pourra-t-il faire mentir cette statistique ?
Pour le moment, Pas de pression. Battu par justement par la légende chinoise au premier tour du Denmark Open 2014, Chou Tien-Chen se rendra en terre scandinave avec l'assurance de ne pas perdre de points. Opposé à un qualifié au premier tour et au vainqueur de Leverdez - Tian Houwei au second, le Taïwanais aura son mot à dire.
Côté qualification olympique, Chou peut également avoir le sourire. Plutôt régulier dans la performance depuis l'ouverture de la course aux points en mai, il figure pour le moment à la 4ème place, plus de 10 000 points devant son compatriote Hsu Jen Hao. En cas de bonnes performances d'ici mai 2016, le Taïwanais pourrait confirmer une place de tête de série prometteuse et rêver - pourquoi pas - à une historique médaille olympique pour le badminton Taïwanais. Mais un tel exploit passe d'abord par son jardin de Coubertin ... et la réédition de ses performances de 2014 !
Steakz
Le 16/10/2015 à 17h54 (0)Devant le quart de finale de l'open du Danemark, je suis de tout coeur derrière lui afin qu'il gagne face à Momota !