La Chine, mais pas que
2006, ou le début d'une nouvelle ère. Il y a de cela douze ans, les Championnats du Monde se déroulaient pour la première fois avec le scoring actuel, en 21 points. Il y a de cela douze ans, Lin Dan croquait son premier titre majeur. Avec trois finales sino-chinoises et quatre sacres, l'Empire du Milieu régnait (presque) sans partage. Pas assez, toutefois, pour empêcher l'Angleterre de s'offrir, elle aussi, son jour des héros : une finale de mixte 100% anglo-saxonne.
À Madrid, c'est avant tout une prouesse collective qui aura permis à l'Angleterre de se faire une place au soleil, juste à côté du roi chinois. Double finaliste, Anthony Clark en sera l'un des symboles. Mais le sport est impitoyable et l'histoire se charge, souvent, de glorifier les gagnants. Nathan Robertson et Gail Emms, vainqueurs, auront donc hérité des louanges.
Avant ça, ils avaient aussi hérité d'un coup de pouce du destin. Placés dans le bas du tableau avec les Coréens Lee/Lee, têtes de série n°2 et forfaits de dernière minute à Madrid, les Anglais enfilaient dès lors un costume de favoris à la victoire finale. Tranquilles vainqueurs de Briggs/Bankier (21-12, 21-10), Zheng/Zhao (21-14, 21-16) puis des Danois Laybourn/Rytter-Juhl (21-14, 21-17) avant de se présenter dans le dernier carré, l'avant-dernière marche vers la finale laissera flotter des allures de mauvais tour, de mauvais jour…
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
Médaillés d'argent aux Jeux d'Athènes, Nathan Robertson et Gails Emms ont conscience de l'opportunité en or qui se présente en terre espagnole. Robertson blessé à une cheville lors d'une séance d'entraînement juste avant le début des Mondiaux 2005 à Anaheim, les Anglais, initialement tête de série n°1 aux Etats-Unis, ont mangé leur pain noir.
Le vent souffle cette fois en leur faveur : le forfait de Lee/Lee précède la sortie précipitée des tenants du titre et numéros un mondiaux, Widianto/Natsir, tombés de haut face à Koo/Wong dès les huitièmes (21-15, 18-21, 22-20). Mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Le samedi 23 septembre 2006, les Anglais rajoutent du piment à leur épopée madrilène.
Pour leur cinquième confrontation avec les Thaïlandais Sudket Prapakamol et Saralee Thungthongkam (2 victoires, 2 défaites), les Anglais jouent à se faire peur. Très peur. Après deux sets à couteaux tirés (21-18, 17-21), Robertson/Emms accusent le coup au beau milieu du jeu décisif, menés 11-15 et au bord du gouffre. Mais même distancés, les vice-champions olympiques font basculer le sort d'une rencontre assez folle. Ils remportent dix des treize points suivant, et sont à même de transformer l'essai (20-18). En vain : 20 partout.
Ressurgissent alors les mauvais souvenirs du passé. Un passé proche. Huit mois plus tôt, en finale d'un All England dont ils sont les tenants du titre, Robertson/Emms connaissent un de leur échec les plus cuisants : en finale face à Zhang Jun et Gao Ling, les Anglais manquent cinq volants de matchs dans la deuxième manche, avant de littéralement sombrer (15-12, 14-17, 15-1). Une leçon à retenir.
Retour à Madrid : trois, quatre, puis cinq volants de matchs manqués, encore. Mais cette fois, Nathan Robertson et Gails Emms auront le dernier mot : 25-23 au troisième, 1h de jeu, et des sueurs froides. «Nous avons fait preuve de détermination pour s'en sortir» commentera Robertson.«Une paire anglaise était déjà qualifiée pour la finale et je me disais que ce serait une cruelle désillusion si nous ne les rejoignions pas» ajoutera-il. En effet, pour éviter des retrouvailles peu souhaitées avec Zhang Jun et Gao Ling, un autre duo anglais, Clark/Kellogg, avait mis hors-jeu les Chinois en quarts (21-18, 21-17), puis s'était même permis de rêver en dominant Koo/Wong (21-14, 21-12).
Grandiose ? Non, mais historique
Mais la hiérarchie était assez claire entre Robertson/Emms et Clark/Kellogg. Que ce soit un an auparavant au Danemark (15-10, 15-1) et en Chine (15-8, 15-5), ou aux derniers championnats d'Angleterre, en cette même année 2006 (15-2, 15-3), les numéros 4 mondiaux avaient, semble-t-il, fait le plus dur en venant à bout de l'obstacle thaïlandais la veille.
Quel luxe, tout de même, de s'offrir un match entre amis en finale des Championnats du Monde. Gail Emms et Donna Kellogg avaient vu leur route commune stoppée dès le troisième tour en double dames, mais finiront l'aventure côte à côte sur un podium. Partenaires de 2001 à 2004 puis de 2008 à 2010 ensuite, Nathan Robertson et Anthony Clark partageaient eux aussi ce souvenir commun si singulier.
Sur le court, la logique restera implacable. Même dans un match à fort enjeu, Robertson/Emms dominaient Clark/Kellogg (21-15, 21-12) et rejoignaient la cour des grands. Une finale que l'on ne qualifiera ni de grandiose ni d'immanquable, sinon d'historique. Les deux duos anglais, dans un sport outrageusement dominé par l'Asie ces dernières années, sont aujourd'hui les seuls à avoir disputer une finale exclusivement européenne depuis le début du 21ème siècle.
 «Sans aucun doute, Nathan est le meilleur joueur que le Royaume-Uni ait sorti» avait affirmé Gail Emms au moment de se retirer des courts, en 2008, tout en restant proche des terrains au centre national, auprès des jeunes, dont une certaine Gabby White (aujourd'hui Adcock). Quatre ans plus tard, Nathan Robertson manquait de disputer les Jeux de Londres au profit d'un certain... Chris Adcock, associée à Imogen Bankier. Ces deux jeunes espoirs d'alors, médaillés de bronze en 2017 à Glasgow, ont bien grandi. Savoir s'ils seront un jour à la même hauteur que leurs aînés est une toute autre histoire...
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