Crédit photo : Badminton Europe
Peter Rasmussen et Camilla Martin, destins opposés
A l’aube des championnats du monde 1997 à Glasgow, le Danemark se donne le droit de croire au titre. Un titre qui échappe au berceau du badminton européen depuis la première édition, en 1977. Seul Flemming Delfs était parvenu à cet exploit. Mais dans le sillage de la légende Poul-Erik Høyer et de l’étoile montante Peter Gade, c’est bien Peter Rasmussen qui va éclabousser le monde de son talent à seulement 23 ans.
Rien ne pouvait laisser présager ce qu’il s’est passé à Glasgow cette année-là. Souvent barré par son aîné Høyer à l’image de la finale des Championnats d’Europe en 1996, il ne gagne pas de titre majeur avant le Japan Open 1997, à quelques mois de réaliser un des plus grands coups de l’histoire.
Même génération mais pourtant si différente : Camilla Martin est née pour régner, elle est attendue par tout un peuple pour succéder à Lene Køppen, titrée en 1977 comme un certain Flemming Delfs. En 1992, alors qu’elle vient de fêter son 18ème anniversaire, Martin s’offre une première médaille européenne (le bronze). Quart de finaliste lors des Mondiaux 1995, 1997 et des Jeux Olympiques 1996, la première médaille mondiale commence à se faire attendre.
C’est en 1998 que tout va s’accélérer alors que la Danoise devient double championne d’Europe. Devenue numéro une mondiale un an auparavant, elle remporte 4 titres en 8 tournois (Suisse, Hong-Kong, Danemark et Europe). Un scénario qui ne va pas se dérouler comme il était tracé : son début de saison 99 est décevant avec aucun titre, aucune finale et un forfait à quelques semaines des championnats du monde.
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Le triptyque chinois de Camilla Martin
Proche de prendre la porte au premier tour face à la Nigériane Adebayo (11-9, 7-11, 11-9), la Scandinave ne le savait pas encore mais ce match allait servir de déclic. Le genre de match qui sert de leçon, le genre de match qui vous donne la sensation d’être intouchable. C’est en tout cas l’effet que va avoir ce premier match sur Martin qui va filer jusqu’en quart de finale après deux victoires faciles (11-0, 11-0 face à Tcherniavskaia et 11-6, 11-1 face à Ji Hyun Kim).
La voilà face à son destin, face à son histoire. La marche sur laquelle elle a échouée lors des deux précédentes éditions et aux JO trois ans auparavant. Mais sa partie de tableau ressemble à l’enfer. Opposée à la Chinoise Zhang Ning, elle est transcendée par l'événement devant son public. La joueuse de la CBA est punie, corrigée (11-6, 11-1). La première médaille mondiale de Martin est là, acquise sur ses terres.
Face à elle, se dresse une autre Chinoise en demie, Ruina Gong. Elle n’a que 18 ans en 1999 mais affiche déjà un niveau de jeu impressionnant qui n’a rien à envier à ses aînés Zhang Ning et Dai Yun. La joueuse de l’Empire du Milieu prend rapidement les devants (11-6) avant que son adversaire ne réplique (11-9). S’en était trop, Camilla Martin venait de sceller le sort de la rencontre en prenant cette seconde manche sur le fil. Après Zhang Ning, c’est Ruina Gong qui subissait les foudres de la Danoise (6-11, 11-9, 11-3).
Ce que venait de réaliser la locale était déjà grand. Et penser que ces deux victoires sont anecdotiques serait une grave erreur. Ruina Gong et Zhang Ning deviendront les deux prochaines championnes du monde en 2001 et 2003 et la dernière citée sera même double championne olympique (2004 à Athènes et 2008 à Pékin). Il fallait désormais se tourner vers la finale. Et en finale, c’est Dai Yun qui l’attendait, comme s’il avait fallu passer tous les paliers chinois pour atteindre le plus fort d’entre eux.
La compagne de Peter Gade à l’époque venait de perdre en finale de la Sudirman Cup contre Dai Yun (5-11, 11-9, 13-9). Mais ce jour-là tout était différent, tous les espoirs danois reposaient sur elle - Gade est sorti en demi-finale -. Après le gain du premier set 11-6, la Chinoise revient au score pour s’offrir le droit de disputer un ultime set.
Devant les 6000 spectateurs de la salle de Copenhague venus juste pour elle, Camilla Martin domine le cours du jeu et prend rapidement les devants (10-3). Alors que le titre n’a jamais été aussi proche, la Danoise s’effondre point après point et laisse son adversaire recoller à 10-10. Elle s’expliquera d’ailleurs sur la situation « Je jouais un de mes meilleurs matchs. Quand j'étais à 10-3, je pensais au match que nous avons eu il y a quelques jours où elle est également revenue et m'a battu. Voilà pourquoi j'ai perdu le contrôle. »
Il ne restait qu’un point. Un seul et unique point pour décider de qui allait marquer l’histoire. Il ne pouvait être différent, un volant dans le filet de la Dai Yun et Camilla Martin peut exulter. En réalité, elle se prend la tête entre les mains et semble ne pas comprendre ce qu’elle vient de réaliser. Elle est tout simplement championne du monde, devant son public, dans son pays.
Le jour où Peter Rasmussen a écrit son histoire
Tête de série 15 de la compétition, Rasmussen est protégé par son statut. Il passe les deux premiers tours sans encombres avant d’affronter Indra Wijaya en 8ème. C’est le début de la folle aventure de Peter Rasmussen. Dans un match un peu décousu (15-8, 8-15) au cours duquel les deux joueurs prennent le dessus tour à tour, c’est Rasmussen qui a le dernier mot au prix d’un dernier set impitoyable (15-1).
L’heure est aux retrouvailles en quart de finale avec le Sud-Coréen Sung Woo Park. Celui-là même qui avait été le bourreau de Rasmussen en 16ème de finale lors des Mondiaux de 1995. Plus mature dans son jeu que deux ans auparavant, Rasmussen prend sa revanche en deux sets (15-2, 18-17). L’histoire est en marche, le Danois repartira avec une médaille. En demie, la tâche se corse encore avec le tenant du titre Indonésien Heryanto Arbi.
Le match est la copie conforme de son 8ème de finale face à Wijaya, les deux joueurs se retrouvent à égalité (9-15, 15-9). Rasmussen marche littéralement sur son adversaire dans l’ultime set comme il l’avait déjà réalisé face à Wijaya (9-15, 15-9, 15-2) et fonce vers une finale encore inespérée en début de tournoi.
Sun Jun, le Chinois favori pour glaner le titre vient d’éliminer consécutivement Peter Gade et Poul-Erik Høyer (champion olympique à Atlanta en 1996). Le prochain sur la liste de Sun Jun est Peter Rasmussen, il ne reste plus qu’à concrétiser. Mais la patte gauche du Danois est venue contrecarrer tous les plans possibles. Mené 14-10 dans le premier set, le joueur de la CBA livre un véritable combat pour revenir et empocher le premier set (17-16).
A une époque où il fallait servir pour gagner les points, ce match va rentrer dans les annales du badminton par sa qualité, son intensité mais aussi sa durée : près de deux heures de jeu ! Comment expliquer ce qu’il s’est passé ce fameux 1er juin 1997 ? Mené 17-16, 13-10, Rasmussen ne lâche à aucun moment et revient inexorablement. Il enchaîne 8 points (!) et égalise à un set partout (16-17, 18-13).
Sun Jun ne semble pas touché mentalement, le début du troisième set montre qu’il est encore supérieur à son adversaire. Mais cette partie va basculer, basculer dans l’inexplicable, dans l'irréel. Alors que Peter Rasmussen est mené 10 points à 3, le Chinois se retrouve perclus de crampes. L’abandon est pourtant envisageable, mais son physique aura eu raison de lui. Sun Jun a été trahi par son corps. Rasmussen enchaîne 12 points consécutifs pour réaliser l’impensable. Il devient champion du monde et succède à la légende Flemming Delfs.
Une chose est certaine : le 1er juin 1997 et le 23 mai 1999, le destin de Camilla Martin et Peter Rasmussen a changé. Ils sont devenus des légendes pour le Danemark et l’Europe et seront à jamais ceux qui ont fait tomber l’hégémonie asiatique. Ni l’un ni l’autre ne rééditeront cet exploit, mais leurs noms resteront gravés dans l’histoire du badminton.
Camilla Martin sera médaillée d’argent aux JO de Sydney en 2000 et obtiendra encore des médailles européennes et mondiales. Quant à lui, Rasmussen devra attendre 2002 pour être champion d’Europe. Une carrière qu’il aura longtemps passé dans l'ombre de deux légendes : Paul-Erik Høyer et Peter Gade.
esbi57
Le 24/07/2018 à 14h43 (0)maxime
Le 24/07/2018 à 16h39 (0)Avant à 13 partout le premier à 13 choisissait si on jouait en 15 ou en 18, et cas d'égalité à 14 le premier choisissait 15 ou 17.
Ce qui n'est pas dit dans l'article c'est que Camilla a levé l'index à 14 partout afin d'indiquer qu'elle ne choisissait pas les prolongations, ce qui était extrêmement rare à l'époque (on ne le voit pas bien sur la vidéo). La légende raconte que son adversaire n'avait pas noté cela et pensait jouer jusque 17...