JO 2016 : La Chine, un géant du badminton en péril ?

Publiée par Ivan Cappelli le vendredi 5 août 2016 à 14:26
LinD
Crédit photo : Li-Ning International

L'empire du milieu sera-t-il en mesure de rééditer à Rio son coup de force olympique de Londres 2012, avec un grand chelem historique ? La Chine symbole d'une suprématie sur le monde du volant, imprimée jusqu'aux Jeux Olympiques depuis le début du XXIème siècle, est-il sur le point de vaciller ? Sûr de sa force grâce à la présence d'une majorité de ses héros britanniques, mais après une ère post-JO 2012 au relief contrasté, le temps des certitudes de l'empire du milieu semble révolu.

Un palmarès olympique à faire pâlir d'envie

Quel autre étendard symbolise mieux l'insolente domination d'une nation que la bannière rouge aux cinq étoiles ? Le palmarès du badminton aux Jeux, après six olympiades depuis son installation, résonne avec un sérieux accent mandarin. Pas moins de 16 titres sur 29, et 38 médailles glanées par Pékin sur 91 tous métaux confondus, le badminton fait partie de l'ADN olympique de l'empire du milieu. Seuls la Corée et l'Indonésie avec 6 trophées chacun, principalement grâce au double hommes, surnagent dans cet océan de gloire chinoise.

Qui incarne le mieux ces lignes dorées des livres d'histoire du volant ? Se passant le relais depuis les JO de Sydney, ils ont enchaîné chacun dans leur discipline un doublé en or olympique : Ge Fei/Gu Yun chez les dames, Gao Ling/Zhang Jun en mixte, (ce dernier officiant désormais sur la chaise de coach de la CBA en double), Zhang Ning en simple dames, mais également plus proche de nous, Zhao Yunlei, et un certain Lin Dan.

Et si tous ces noms sont déjà gravés au panthéon de leur discipline, Zhao Yunlei et Lin Dan présentent évidemment la particularité d'être toujours en lice pour faire sauter la banque brésilienne en route vers un triplé doré de tous les records. Zhang Nan, partenaire de Zhao en mixte, pourrait également obtenir la passe de trois à Rio puisqu'il sera aussi aux premières loges en double avec Fu Haifeng.

LuoLuo
Crédit photo : Badmania.fr

L'élan britannique aura du mal à traverser l'Atlantique

Après avoir atteint son rythme de croisière dans les années 2000, l'hégémonie de l'empire du milieu sur la compétition olympique s'est muée en une confiscation pure et simple des cinq titres et 8 des quinze médailles en jeu à Londres. Et pourtant, quatre ans plus tard, toute aussi talentueuse qu'elle soit, la forteresse chinoise semble vouée aux tempêtes venues des quatre coins du globe.

Entre tâtonnements et expérimentation permanente des paires de double dames, (jusqu'à mi-période de qualification olympique pour Yu Yang/Tang Yuanting), une interminable transition en double hommes, et les conflits entre l'équipe nationale et sa star Lin Dan au sujet des contrats de marque, elle s'est fissurée de l'intérieur. De l'extérieur, la citadelle est grignotée par l'arrivée de jeunes pépites dans le pré carré du simple dames, et l'arrivée à maturité des paires coréennes et indonésiennes en double hommes. Le développement très rapide du badminton au Japon, avec une véritable école du double dames symbolisée par Matsutomo/Takahashi achève de peindre un tableau bien sombre pour la délégation rouge.

Il faut également ajouter qu'à son corps défendant et après quelques grincements de dents, La CBA a du se résoudre à constater en 2014 que le nouveau règlement de qualification dès Rio limitait les places en simple à deux unités par pays, contre trois auparavant. La raison officielle ­? Élargir l'accès aux JO à un plus grand nombre de pays. Accessoirement, garantir le spectacle en évitant le verrouillage de la compétition au profit des nations dominatrices au ranking mondial.

TianZhao
Crédit photo : Li-Ning International

Les médaillés de 2012 en mode conquistador

Avec cinq des huit héros du grand chelem londonien, la valeur de l'expérience des victoires olympiques, les qualités de rigueur inscrites dans les gênes des pensionnaires de la CBA, les chances de reconquête du graal olympique s'avèrent toutefois bien réelles. Pour autant, le paysage de la planète badminton a évolué, et la configuration d'avant compétition entre Londres et Rio aussi.

Honneur aux dames. Si l'emprise chinoise sur le double dames demeure la règle quasi-immuable en termes de titres mondiaux et olympiques, deux signes annonciateurs de changements pourraient prendre forme à Rio. A commencer par le challenge des Japonaises Matsutomo/Takahashi, plutôt bien cramponnées dans leur siège de n°1 mondiales, ou celui des Indonésiennes Maheswari/Polii. Par ailleurs, en évinçant les championnes olympiques et mondiales en titre Tian/Zhao, en mal de résultats depuis la fin 2015, le sorcier de la sélection, Li Yongbo, réalise un nouveau coup de bluff (ou de sang) au profit des s½urs Luo.

Yu Yang se trouve ainsi de manière inattendue sur le devant de la scène brésilienne. Après la couronne olympique qui lui était promise en compagnie de Wang Xiaoli en 2012, ce sera pour elle, associée à la jeune Tang Yuanting, la dernière occasion de laver le parfum du retentissant scandale des matchs truqués de Londres.

LiXuerui
Crédit photo : Li-Ning International

Simple dames : une dynastie en danger ?

Avant Londres, les quatre Wang : Lin, Yihan, Xin, et Shixian, se succèdent dans le fauteuil de n°1 mondiale depuis Septembre 2009, et les trois titres de championne du monde depuis les JO 2008 sont également aux mains de la CBA. Wang Yihan, auréolée du titre mondial 2011, incarne la relève de Zhang ­Ning. Mais le titre olympique s'envole en finale face à Li Xuerui, la révélation de 2012, et qualifiée au détriment de Wang Shixian grâce au coup de poker de Li Yongbo (déjà). Enfin, si la médaille de bronze consacre la star indienne Saina Newhal, il y a fort à parier que Wang Xin serait montée sur le podium à sa place sans la blessure au genou qui l'avait condamnée à la retraite anticipée.

A ce tableau dictatorial d'alors s'oppose celui d'aujourd'hui. Si Li Xuerui reste la plus régulière du clan chinois malgré les blessures, son invincibilité, et sa place de n°1 mondiale, ont fini par céder en 2015 sous les coups de butoir conjugués de ses jeunes concurrentes : Okuhara, Tai Tzu Ying, P.V. Sindhu, Intanon et surtout Carolina Marin. Ces deux dernières ont par ailleurs eu le toupet de lui rafler la couronne mondiale lors des finales 2013 et 2014. L'empire du milieu, absent après les quarts de finale, n'en a pas plus vu la couleur aux Mondiaux 2015.

Le mot de la sagesse revient à Li Xuerui. Distillé en Juin dernier, il illustre parfaitement le nouvel état d'esprit de l'équipe nationale : « Londres c'était Londres, c'est désormais un nouveau cycle olympique. Le niveau mondial s'est élevé, ce sera compliqué pour tous les pays.» Et une mise en garde, valable pour tous : « Tout le monde a une chance. On ne peut plus dire qu'il n'y a que quelques prétendantes au titre. N'importe quel joueuse peut aller au bout ». Une athlète avisée en vaut deux.

ChenLong
Crédit photo : Li-Ning International

Chez les hommes, le flambeau tarde à passer

Toute menacée que soit la délégation féminine, elle n'en reste pas moins une référence intouchable qui peut rêver priver ses concurrentes de la moindre once de gloire à Rio. Une prétention dont ne peut pas s'arranger avec la même force le clan masculin de la CBA, qui n'avait plus paru si menacé depuis près de 10 ans.

L'inconvénient de réussir à industrialiser la formation de joueurs de légende, c'est qu'il est parfois dur de s'en séparer. Devenu de plus en plus encombrant - mais moins efficace - depuis sa prise de distances avec le contrat national liant la CBA à Li-Ning, Lin Dan cristallise les symptômes d'une délégation masculine en manque de nouveaux talents.

Wang Zhengming a échoué. Tian Houwei tarde à confirmer. Xue Song s'est gravement blessé, tandis que Du Pengyu a été envoyé à la retraite après le fiasco de la Thomas Cup 2014. Même Chen Long malgré 6 mois à la tête du classement mondial reste encore un fragile leader. C'est sûr : tant que le chat restera dans les parages, les souris auront bien du mal à danser.

Pour sa défense, sa candidature crédible à un historique triplé olympique mérite des sacrifices. Très affûté et entièrement focalisé sur l'objectif, le champion dispose du talent et de l'orgueil nécessaires pour venir couper l'herbe sous les pieds de ses grands rivaux. Mais à 32 ans, que reste-il de son incroyable tonicité de ses jeunes années ? De sa faim de victoires ? Sans ses compatriotes pour lui dégager la route de la finale - comme au All England 2016 -, le chemin promet d'être long et tortueux pour Super Dan.

Et Chen long alors ? Jusqu'à l'hiver dernier, on voyait mal qui pouvait empêcher la seule vraie jeune star masculine de la CBA de venir jouer les premiers rôles. Et puis 2016 est arrivé. Avec cette élimination au All England. Cette absence de titres totale, ces 4 défaites de rang face à un Lee Chong Wei lui retrouvé. Pour sa dernière sortie pré-olympique, celui qui s'est fait piquer de justesse la place de tête de série 1 a touché le fond avec une défaite face à Antony Ginting. Pourra-t-il rebondir et éviter le camouflet au Brésil ?

ZhangNan
Crédit photo : Li-Ning International

Zhang Nan, seul sauveur du double national ?

Le constat est encore plus menaçant pour les spécialistes masculin du double. Le vétéran et néo-retraité Cai Yun ne s'en est pas caché : pour lui, les nouveaux espoirs de la CBA "doivent travailler plus, et être plus sérieux" s'ils veulent atteindre leurs rêves de gloire. Avec en filigrane l'intuition que la nouvelle génération n'est pas aussi déterminée que ne l'était la sienne ?

En la matière, Zhang Nan fait figure de parfait exemple à suivre, pourtant. Champion olympique du double mixte en 2012, le petit gabarit de la CBA sauve les apparences. Toujours au sommet avec sa partenaire - à la ville et sur les courts - Zhao Yunlei, les intouchables numéros 1 mondiaux demeurent les favoris à leur propre succession. Mais alors que les quatre années passées auraient du permettre l'éclosion d'un nouveau tandem dans leur sillage, la CBA a du prolonger sa confiance dans les éternels lieutenants Xu/Ma. Un duo en difficulté sur les deux dernières saisons, mais resté plus performant que Liu/Bao, privés de JO.

Et c'est là que le signal d'alarme retentit, plus vibrant que jamais. Et après Rio ? Que se passera-t-il si le duo Zhang/Zhao décide de stopper l'aventure, volontairement ou en raison de l'usure du temps ? La relève n'est pas prête, et le temps vient à manquer pour la descendance d'une génération dorée de l'empire du milieu. Le diagnostic a déjà frappé, implacable, en double hommes.

Car le passage risqué de Zhang Nan sur deux tableaux avec Fu Haifeng n'est pas qu'une occasion de créer une combinaison performante dans la discipline (tête de série 3/4 à Rio). Elle est aussi le symptôme d'une absence de nouveau gros potentiel aux côtés du champion olympique en titre. À l'instar du simple hommes et du double mixte, la densité est là. Mais pas les signes d'une prise de pouvoir qui permettrait une émergence rapide dans le top 3 mondial.

À court terme, le problème est tout autre. Ultra-favori du mixte, la paire Zhang/Zhao pourraient toutefois souffrir de la double compétition disputée par le premier cité, une première à l'échelon l'olympique (en 2012, c'est Zhao Yunlei qui disputait les deux tableaux ... avec 2 médailles d'or à la clé). De là à forcer l'encadrement chinois à des choix en fonction des tendances dégagées par les premiers jours de compétition ? L'affaire méritera d'être observée .. et aura fatalement un impact sur le bilan comptable de l'empire du milieu dans le pavillon 4 du Riocentro.

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  • Fricore
    Le 05/08/2016 à 20h10 (0)
    Excellent article, après c'est vrai que la "mondialisation" du badminton a permis l'émergence de nouvelles star non-asiatiques, la Chine garderas cependant une main mise sur le top 10 pour quelques années je pense ;)
  • Luciole
    Le 05/08/2016 à 21h23 (0)
    Je pense que c'est surtout l’incroyable domination de la génération Lin Dan qui a fait oublier qu'avant eux, la domination de la chine était loin d'être aussi absolue. Ce n'est pas que les nouvelles générations ne sont pas bonnes, c'est juste que celle d'avant était hors norme et ca, la CBA en a pleinement conscience comme en témoigne la longévité de ces joueurs qui jouent encore à plus de 30 ans !! (exceptionnel en Chine).
  • Sebikun
    Le 05/08/2016 à 22h35 (0)
    "Simple dames : unE dynastie en danger". Dans le 2ème paragraphe de cette partie, "les coups de bOutoir" et non pas "butoir". Dans le 2ème paragraphe de la dernière partie, "la CBA a dû" et non pas "du". De même dans le 4ème paragraphe de cette partie "Fu HAIFENG" et non pas "Fu Zhang".

    Je chipote, mais c'est pour le bien du rédacteur de cet excellent article ! :bj:
  • FransV
    Le 06/08/2016 à 3h52 (0)
    Du fait de n'avoir que deux représentants par "grande" nation fait aussi que la Chine sera moins avantagée que lors des London 2012.
    Je suis curieux de voir Lin Dan en action, la mise au point de Chen Long et le retour en forme de Li Xuerui.
    Le dd Tang/Yu à quand même été très très performant et reste pour moi au dessus des japonaises.

    Susanto/Jordan sont très dangereux pour Zhang / Zhao, et ils peuvent remporter l'or.

    Si non, c'est bien d'avoir élargis :mj: comme ça nous avons des poules sans intérêt sur les simples.
    J'ai vu que c'est propre au badminton et c'est pas bien de vouloir faire un règlement anti-asie ...
    (voir tennis avec 3 français par exemple)

  • meistertim
    Le 06/08/2016 à 4h05 (0)
    @FransV :Pour le règlement anti-asie, il y a exactement la même chose au tennis de table (sauf que la les 4 premiers mondiaux sont chinois et jouent un cran au dessus de tout le reste, donc encore plus injuste pour eux!). Cependant, il faut bien comprendre que si un des "nouveaux" sports n'est pas suffisamment populaire aux JOs, il sera tout simplement supprimé (d'ailleurs le badminton avait été menacé il y a pas longtemps si ma mémoire ne me trompe pas).
  • FransV
    Le 06/08/2016 à 13h32 (0)
    @meistertim
    C'est vrai que le tir à l'arc est populaire ...:toudou:
    L'escrime est populaire en Europe et en Asie, n'attirera personne dans l'arène dédiée aux JO.
    Je ne passerai pas tous les sports en revue, mais bon ...

    En revanche la Badminton fera le plein à Tokyo et espérons-le à Paris aussi.
    A Rio, c'est sûr le badminton est très secondaire, asiatique ou pas.
    C'est niveler vers le bas et c'est dommage.
  • meistertim
    Le 06/08/2016 à 13h39 (0)
    @FransV :Je suis bien d'accord que leur raisonnement est débile hein! C'est un peu le problème des JO, qui étaient censé être la compétition des "vieux" sports un peu moins populaire et qui est maintenant entre deux eaux. Un autre problème est que ces sports modernes demandent à chaque fois une grosse infrastructure (pas sur que les terrains de badminto de rio soient rentabilisés post JO). C'est pour ca qu'ils ont supprimé le baseball dans mes souvenirs.
  • FransV
    Le 08/08/2016 à 13h28 (0)
    @meistertim
    Les salles de bad peuvent facilement devenir des salles omnisports.
    Pour la baseball, c'est une erreur de casting, il y a trois, quatre nations, USA, Cuba, CDS et Japon.
  • drmath
    Le 11/08/2016 à 22h57 (0)
    C'est la première fois que je m’intéresse autant au JO....alors j’espère pas déjà la dernière! Le badminton c'est assez populaire je trouve, de plus ça commence a prendre sont envole, puis Brice en final ça va faire parlé...:rolleyes: