Histoire du Badminton en France - Des débuts à la Grande Guerre

Il y a plus d’un siècle, avec le développement de la machine à vapeur, les moyens de transport ont fait de tels progrès que les personnes les plus aisées se sont mis à voyager. On dénombre plus de 3000 kilomètres de voies ferrées en France en 1850 et le bateau à vapeur prend petit à petit le pas sur le voilier. Les Anglais sont alors surtout attirés par les charmes des villes d’eaux et les stations balnéaires mis en valeur dans la presse. Bon nombre de plages de la Manche ont ainsi accueilli des sujets de sa Majesté la Reine Victoria non seulement pour y passer la belle saison, mais aussi pour s’y installer. Ces expatriés ont parfois apporté dans leurs bagages raquettes et volants, contribuant ainsi à la diffusion du badminton en France.

Les premiers à se lancer dans le badminton connaissent des difficultés diverses : en 1898 à Saint-Servan près de Saint-Malo quatre courts couverts sont construits par un professeur anglais, mais quelques années plus tard les principaux animateurs se fâchent et personne ne relance l’activité. Un club se crée en 1900 à Dieppe mais il disparaît assez vite car il ne dispose que d’un seul court. Cependant la ville qui compte près de 3000 résidents britanniques constitue un milieu très favorable pour y développer le badminton.

Un cliché du photographe local Georges Marchand montre que le jeu s’est répandu jusque dans les gobes, ces grottes situées au pied des falaises qui entourent la ville de Dieppe, avec ces enfants de pêcheurs tenant raquettes et volants. Comment sont-ils arrivés là ? L’énigme devrait fournir matière à réflexion aux historiens pendant encore pas mal de temps !

Charles Meyer, un champion cycliste danois installé à Dieppe depuis quelques années, possède un magnifique garage attenant au casino sur la plage. En 1907 il fait construire dans le centre ville, une grande annexe à son garage, et, presque aussitôt, un comité de résidents anglais et français obtient l’autorisation d’y jouer au tennis et au badminton ... Le 1^er novembre 1907, le journal local, La Vigie, annonce la création de l’Association « Covered Lawn Tennis and Badminton Club » enregistrée quelques mois plus tard sous le nom de Dieppe Badminton Club.

Le club organise de nombreux tournois dès le début de l’année, et annonce un tournoi international en mars… qui en fait se concrétisera en novembre. Le D.B.C. s’affilie à la Badminton Association, dont le secrétaire, M. Willis, va participer très activement à la mise sur pied d’un tournoi international avec les meilleurs joueurs du monde !

La Badminton Gazette, organe officiel de la Badminton Association, multiplie les articles pour inciter les joueurs anglais à s’engager et insère une publicité pour le Tournoi.

En France, une colonne entière dans la première page de la Vigie de Dieppe, et « A complete success» dans la Badminton Gazette qui consacre une page entière avec photo à ce premier tournoi international en dehors des Iles Britanniques. Cet évènement représente une étape importante dans le développement mondial ; on en retrouve la trace dans les pages d’histoire du site de la BWF, et dans les livres de l’histoire du badminton aussi bien au Japon qu’en Angleterre.

Comme on pouvait s’y attendre les joueurs britanniques se sont imposés dans tous les tableaux « open » constate la Badminton Gazette, « mais les Dieppois ont très bien figuré dans les tableaux à handicap et montré des qualités très prometteuses » ajoute-t-elle très diplomatiquement !

Les joueurs dieppois s’entraînent sans relâche, organisent de nombreux tournois et vont même jusqu’à organiser des matchs exhibitions. En effet, pour la Fédération anglaise, le club de Dieppe est une véritable « tête de pont » en Europe, et le magazine de la Fédération anglaise, la Badminton Gazette qui a relaté la formation d’un club à Rouen, annonce des parties exhibitions de badminton à Neuilly/Seine le 7 février en vue de l’implanter à Paris. L’impact de la visite à Neuilly est renforcé par la publication d’un long article illustré de photos, par John Yeo-Thomas, dans la revue le Sport Universel Illustré de mars : une véritable publicité du badminton avec un peu d’histoire, une description du terrain, du matériel, du score et un rappel du tournoi international de Dieppe. C’est la première fois qu’apparaît dans un ouvrage imprimé une planche de neuf photos montrant les gestes principaux exécutés en jeu.

Du côté des joueurs dieppois, ils se préparent pour ce qui est maintenant leur objectif annuel : le tournoi international ; certains joueurs vont même jusqu’à participer à des compétitions de l’autre côté de la Manche. Après Close et Mc Callum qui apparaissent aux championnats du Middlesex, Mlle Touleau est la première joueuse française à participer au All England en mars à Londres.

Le tournoi international est toujours aussi bien annoncé dans la Badminton Gazette pour le 18 décembre. Les joueurs anglais raflent une nouvelle fois tous les titres. Chesterton remporte le simple pour la deuxième fois et Mlle Radeglia prend sa revanche sur Mlle Larminie. La presse locale souligne la domination anglaise logique et le caractère spectaculaire des matchs tandis que la Badminton Gazette insiste aussi sur les progrès des Dieppois et en particulier d’un jeune de 14 ans plein d’avenir, M.Sarniguet, qu’on retrouve sur la nouvelle photo publiée dans le magazine anglais.

Cette année voit la poursuite d’une activité intense dans la salle dieppoise, d’autant plus qu’un plancher est construit pour recevoir les cinq courts où se déroulera la 3ème édition. La Badminton Gazette ne manque pas de le signaler pour faire la promotion du tournoi. Dans les colonnes du Sportsman, G.A.Thomas cite aussi le club dieppois en exemple pour les efforts qu’il fait pour attirer les jeunes en leur ouvrant des créneaux et des compétitions. Il ajoute que certains ont acquis rapidement un style excellent !

Chesterton, le vainqueur de l’an dernier, blessé, ne peut défendre son titre et c’est ce même G.A.Thomas qui va remporter le simple, tandis qu’en simple dames Mlle Radeglia ajoute un 2^ème titre à sa collection. A noter que G.A.Thomas réalise le triplé en remportant le double messieurs avec Sautter et le mixte avec Mlle Bateman.

Le Dieppe B.C. continue de se préparer activement pour son tournoi international à la fin de l’année ; il poursuit son travail de propagande à l’étranger cette fois en se rendant à Bruxelles faire un match exhibition contre une sélection locale. La réunion s’est terminée par une victoire normande sur le score de 14 à 1 et a valu aux Dieppois les félicitations des ambassadeurs anglais et américains qui assistaient à la rencontre.

Le tournoi 1911 sera marqué par la 2^ème victoire consécutive en simple de G.A.Thomas et surtout par celle de Mlle Radeglia : en effet il s'agit de sa 3^ème victoire en simple dames et les organisateurs lui remettent définitivement le trophée.

Favorisées par l’absence de nombreuses joueuses anglaises, les joueuses françaises en gros progrès se font remarquer : Mlle Touleau prend un set à Mlle Radeglia (6/11, 11 /2, 11 /1), et Mlle Tephany parvient en finale du simple après une victoire arrachée de haute lutte en 1/2 finale (11/9, 11/13, 11/8) face à l’Anglaise Mlle Musgrave.

La Badminton Gazette signale aussi l’importance du soutien de la municipalité, qui, chose rare pour l’époque allait participer à la dotation en trophées.

Le 15 octobre, Charles Meyer accompagné de deux de ses filles, de Mlle Touleau et de Mrs Taylor viennent jouer à Ealing dans la banlieue de Londres, et rencontrer les dirigeants pour mettre sur pied un interclubs international. Le mois suivant, la Badminton Gazette souligne les progrès réalisés par les joueuses françaises, annonce que Mlle Meyer s’installe à Brighton, et va jouer au Southdowns Club tandis que son père confirme la venue à Dieppe en janvier de l’équipe d’Ealing pour rencontrer le Dieppe B.C.

En décembre, les organisateurs voient toujours avec plaisir l’afflux croissant de joueurs et de spectateurs enthousiastes malgré une participation anglaise en baisse.

Cependant, Mlle Radeglia et G.A.Thomas confirment leur domination dans tous les tableaux et montent sur la plus haute marche du podium. G.A.Thomas, avec sa 3^ème victoire consécutive en simple remporte le trophée définitivement. Comme d’habitude, ce sont surtout les joueuses françaises qui sont le plus complimentées, mais le reporter de la Badminton Gazette note aussi les promesses de M.Ango et surtout de M.Thoumyre.

Les 11 & 12 janvier 1913 se déroule donc cette rencontre qui verra une large victoire britannique (48 matchs à 14). A noter que la plupart des victoires françaises sont le fait des dames de l’équipe qui dominent les doubles et du mixte de G.Sarniguet avec sa sœur remportant quatre matchs. Le mois suivant, le magazine La Vie Au Grand Air consacre plusieurs pages pour célébrer l’événement avec un article du président du club dieppois et une page entière illustré de photos du match et de joueurs dieppois démontrant les coups principaux.

Dans le numéro de janvier, Charlotte Meyer devient la première joueuse non britannique en photo dans la Badminton Gazette.

A la fin de l’année, l’Open se déroule avec « des parties captivantes qui ont mis aux prises les champions anglais et les joueurs du Dieppe Badminton Club » déclare La Vigie de Dieppe. En effet les joueurs anglais reviennent beaucoup plus nombreux, et dominent largement la compétition principale. Toutes les finales sont exclusivement anglaises : G.A. Thomas remporte le simple pour la 4^ème année consécutive tandis que Miss Radeglia collectionne sa 5^ème victoire. Soulignons côté Dieppois la performance de McCallum, maintenant résident anglais mais formé à Dieppe dès les premières années du D.B.C., éliminé en ½ du simple par G.A. Thomas en 3 sets, et surtout vainqueur du double messieurs avec Bisgood face à Thomas & Hosken.

La Première Guerre Mondiale porte un coup fatal au tournoi international. Comme dans le reste de l’Europe toutes les activités sportives sont suspendues, et à Dieppe, la « colonie anglaise » a regagné les Îles Britanniques.

En 1922 Charles Meyer relance l’activité avec un tournoi interne relaté en Angleterre par la Badminton Gazette. Des contacts sont pris avec la Badminton Association pour organiser un match exhibition mais ils n’aboutiront pas. On ne trouve plus d’article dans la presse locale et la Badminton Gazette ; il faudra attendre de nombreuses années pour que le badminton fasse parler de lui de nouveau en Normandie.

Une carrière de presque trente ans. Elle remporte l’Open d’Angleterre 11 fois en 17 ans. Elle gagne les trois tableaux du 1^er French Open de Dieppe en 1908 … et remporte le double dames des internationaux de France 1936 ! Mme Tragett participe pendant une dizaine d’années à la rédaction de la Badminton Gazette et écrit un livre « le badminton pour les débutants » ainsi que plusieurs romans.

Maintes fois titrée à Dieppe, elle remporte plus tard le simple du All England à trois reprises entre 1913 et 1923, devient entraîneur professionnel de tennis et de badminton dans les années 20 tout en participant aux travaux de la Badminton Gazette.

La joueuse dieppoise avec le meilleur palmarès arrive souvent en ½ finale du simple et même en finale en 1912. Lors du match contre Ealing en 1913 elle apporte quatre victoires au club dieppois. On rappellera aussi qu’elle est la première française à participer au All England. En 1918 elle épouse un officier anglais dans le Devon.

Débutant en 1892, il remporte le premier Open d’Angleterre en doubles et de nombreux autres titres tout en participant très activement à la Fédération anglaise pendant plus de trente ans. Il écrit un des tous premiers livres sur le badminton en 1911. Stuart Massey apparaît sur la photo du premier tournoi de Dieppe, dominant le dernier rang de sa haute stature.

Une collection impressionnante de titres à l’Open d’Angleterre, qui commence en 1903 par le mixte, finit par le double messieurs en 1924, sans négliger une dernière victoire en simple en 1923 à l’âge de 41 ans ! Un administrateur historique du badminton anglais (vice président de 1930 à 1950, puis président jusqu’en 1952) et mondial (président fondateur de la Fédération internationale pendant 21 ans). C’est aussi un excellent joueur d’échecs. Il crée l’équivalent de la Coupe Davis en badminton qui s’appelle encore la Thomas Cup.

Comme Mme Larminie – Tragett il marque les débuts de l’Open de Dieppe où il remporte les trois tableaux, et s’octroie en 1909 le titre du simple. Absent l’année suivante pour blessure, F.A. Chesterton se rattrape largement au All England en gagnant trois titres en simple et trois titres en doubles entre 1909 et 1914. Il séduit le public par son habileté à masquer ses intentions et la variété de ses coups.

Le seul Suisse à figurer aux palmarès de l’Open de France et du All England. A Dieppe, il remporte le double messieurs trois fois de suite de 1909 à 1911, alors qu’il domine le All England en simple en 1911, 1913 et 1914…où il réapparaît en 1922 pour remporter le double messieurs. Ce joueur réputé pour son style très offensif et son smash « autour de la tête » finit par s’engager sous le nom de U.N.Lapin pour cacher à ses employeurs qu’il participait à des compétitions !

Cycliste émérite, vainqueur de Bordeaux – Paris et 2ème de Paris – Roubaix, (il releva aussi un défi lancé par Buffalo Bill en 1893 à l’hippodrome de Pantin) et membre fondateur du Dieppe B.C. On retiendra surtout son mécénat en tant que garagiste qui offrit une salle magnifique au club local. Charles Meyer figure sur les photos de l’article du Sport Universel Illustré et mit un point d’honneur à participer à chaque édition de l’Open de France. L’influence insoupçonnée du Danemark ?

C’est certainement un des personnages les plus importants de l’histoire du badminton français. Tout d’abord, ce résident anglais (importateur de charbon gallois) participe à la création du club de Dieppe en 1907 au poste de trésorier, ensuite il déménage sur Paris où il essaie de favoriser la création d’un club … et réapparaît à la création de la Fédération en 1934, au poste de Directeur Technique. Entre temps il écrit le chapitre consacré au développement du badminton en France dans Badminton, le livre de S.Massey (1911). Son fils Forest sera un des héros de la seconde Guerre Mondiale, mais c’est une autre Histoire…

*En gras, les joueurs du DBC

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